samedi 22 décembre 2012

Suivez Anthémios lors de son "entretien d'embauche" à son arrivée au monastère !

Après l'extrait du mois dernier, le blog reprend son cours avec un nouveau post qui vous conduira aux côtés d'Anthémios lors de son entretien avec Anastase, le supérieur du monastère !

Lors du post d'octobre, au terme du troisième chapitre, Anthémios venait de terminer son long voyage en atteignant enfin ce monastère de l'Hellespont, sa destination finale. Ce mois-ci, nous poursuivons le fil du roman et nous nous intéressons au quatrième chapitre, consacré  à l'entretien que doit passer Anthémios avec le responsable de l'établissement. Comme l'indique le titre de ce chapitre, "Un entretien décisif", l'enjeu pour Anthémios est ici d'être accepté par l'higoumène (l'équivalent, dans un monastère byzantin, d'un abbé) dans son couvent. Il postule à devenir novice, rappelons-le. Il rencontrera à cette occasion celui qui deviendra son maître durant son noviciat.

Arrivé la veille au soir, Anthémios a passé la nuit dans l'auberge annexe du monastère. Au petit matin, ses compagnons Héraclius et Procope le quittent pour reprendre leur route vers Constantinople. Serge, le moine hôtelier, le conduit alors au monastère, lequel est plongé dans le brouillard, en cette matinée d'hiver, lui donnant un aspect lugubre. Juste avant de parvenir à l'entrée, ils passent devant la forge du monastère. Là, Serge présente à Anthémios le moine cellérier, Rhômanos, qui a pour charge l'intendance et l'approvisionnement du couvent. Le jeune garçon rencontre ainsi un deuxième moine dans la communauté. Puis un troisième, en la personne de Méthode, le moine portier, lorsqu'ils arrivent enfin devant le portail de l'établissement.

Frère Méthode le conduit dans une antichambre donnant sur la salle capitulaire, là où Anastase va lui accorder audience. Anthémios patiente là un moment, le temps que Méthode aille prévenir l'higoumène de son arrivée. Lorsque le jeune postulant est enfin convié à se rendre dans la salle capitulaire, il est intimidé, tant par la solennité du lieu que par l'enjeu de l'entretien et l'importance du personnage qu'il va rencontrer. D'autant qu'Anastase trône sur une estrade et qu'il n'est pas seul, un autre moine est à ses côtés. Mal à l'aise, Anthémios ne sait trop comment se présenter à eux et les saluer. Il improvise donc maladroitement, mais ces interlocuteurs n'en font pas cas. Anastase est plongé dans la lettre du père d'Anthémios que Serge lui a remis la veille. Il l'accueille assez brièvement et lui pose aussitôt des questions sur la réalité de ses motivations à devenir novice. Il devine à travers cette lettre que c'est surtout son père qui veut faire d'Anthémios un moine. Anthémios parvient plus ou moins à convaincre le supérieur de ses motivations. Mais Anastase relève alors dans cette lettre un point plus délicat encore : l'âge d'Anthémios.
A 14 ans, il est encore trop jeune pour être accepté comme novice. Anastase lui précise qu'il doit avoir seize ans révolus pour pouvoir devenir novice. En réalité, il cherche simplement à le tester pour voir sa réaction, car depuis le concile in Trullo, en 692, l'âge minimum pour entrer en religion est de 10 ans. Cet âge plancher fut fixé pour éviter les dérives rencontrées auparavant, il n'était pas rare en effet de voir des familles faire postuler au noviciat des enfants bien plus jeunes encore...   Anthémios est donc tout à fait éligible. Anastase le trouve trop jeune néanmoins. Il préférerait en fait voir arriver des candidats un peu plus âgés et se présentant au terme d'une démarche spirituelle personnelle, plutôt que des gamins envoyés là par leur famille. Cependant l'higoumène est embarrassé, car celui qui vient présenter sa candidature aujourd'hui est un gamin venu de très loin. D'un point de vue pratique, il ne peut plus vraiment éconduire ou mettre à la porte Anthémios, car ce dernier n'a plus d'accompagnateurs pour le reconduire à Melnik. Moralement, il ne veut pas prendre cette décision et lui propose une solution transitoire : il accepte d'accueillir Anthémios en tant que simple postulant jusqu'à ses seize ans. Il sera alors régularisé comme novice, et rentrera officiellement en noviciat pour une durée de deux ans.

Anastase se renseigne ensuite sur l'éducation et les connaissances acquises par le postulant. Anthémios lui fait part de ses acquis et en particulier de ses connaissances linguistiques de dialectes thraces et slaves. L'higoumène le snobe alors et lui apprend qu'il va devoir tout apprendre en rentrant dans ce monastère. C'est à cette occasion qu'il lui présente celui qui va devenir son maître, frère Georges, le moine qui se trouve à ses côtés et qui est son second dans la communauté. 

Solidus à l'effigie de l'empereur Léon V (813-820) et de son fils Konstantinos 
(Wikimedia Commons - Cplakidas) 
Anastase, avant de conclure l'entretien, s'intéresse à un dernier point dans la missive du père d'Anthémios. Celui concernant une somme qu'Anthémios est censé remettre au monastère. C'est ce qu'on appelle alors une apotagè, une sorte de droit d'entrée pour les nouveaux arrivants dans un monastère. Anthémios lui remet alors une bourse et l'higoumène en découvre le contenu. La somme est nettement plus élevée que celle à laquelle il s'attendait. Elle s'élève à une vingtaine de nomismata, la monnaie d'or, la plus forte unité monétaire ayant cours dans l'Empire (une nomisma au singulier, des nomismata au pluriel... on y retrouve la racine grecque qui a donné le mot "numismatique" en Français), héritière du solidus romain (lequel a donné, lui, le mot "sous" en Français). Elle sert pour régler les dépenses importantes et seules les familles aisées en disposent. Les masses populaires y ont peu ou pas accès.  Les deux pièces d'or présentées ci-contre sont à l'effigie de l'empereur Léon V, le basileus qui régne alors sur l'Empire à l'époque de notre histoire, et de son fils Konstantinos. Elles sont donc contemporaines et similaires à celles qu'Anthémios remet à Anastase. 


Follis à l'effigie de l'empereur Léon V (813-820) 
(Wikimedia Commons - Saperaud) 
La monnaie courante, celle qui sert aux dépenses quotidiennes et que le quidam a dans la poche, se nomme le follis et est en bronze. Quand on sait qu'un follis représente à peu près la valeur d'1/300ème de nomisma, on comprend que ce que contient la bourse d'Anthémios est une petite fortune, plusieurs milliers de follis... Les deux follis ci-contre sont eux aussi contemporains de l'époque d'Anthémios puisqu'ils sont à l'effigie de Léon V. Les plus observateurs d'entre vous auront reconnu que celui de droite sert de "logo" à ce blog ;) Pour l'anecdote, sachez qu'il ornait également les manuscrits que j'envoyais chez les éditeurs avant que je ne prenne part à l'aventure Bookly...
Icône russe représentant le 2nd Concile de Nicée
(ou 7ème concile oecuménique), XVIIème siècle,
couvent de Novodevichy, Moscou
(Wikimedia Commons - Shakko)     

Anastase reconnaît que c'est une somme importante et que généralement une apotagè s'élève à dix nomismata, douze tout au plus. Il dit réprouver ensuite le principe pour un postulant de devoir verser un droit d'entrée pour intégrer un monastère et qu'il ne l'accepte pas habituellement. Il faut dire que cette pratique est censée être interdite depuis le second concile de Nicée, en 787. Lors de ce concile, dont le principal enjeu fut de mettre fin à la première crise iconoclaste (nous y reviendrons dans de futurs posts), de nombreuses décisions furent prises pour réguler la vie monastique et l'une d'elles fut d'instaurer la gratuité lors de l'entrée dans la vie religieuse, nul ne devait payer pour entrer en religion. Les excès étaient nombreux auparavant, mais la pratique des droits d'entrée se maintiendra malgré ce canon édicté à Nicée.  

Toutefois, Anastase reste pragmatique - et assez hypocrite il faut l'avouer - et accepte de recevoir cet argent... non pas comme une apotagè mais comme une donation, au prétexte qu'Anthémios n'est qu'un postulant et pas encore officiellement un novice. Il a par ailleurs des travaux urgents à mener au niveau de la toiture de la bibliothèque, qu'il ne pouvait financer faute de trésorerie... cet argent venu du ciel tombe à point... et le reliquat servira au financement de ses bonnes oeuvres... L'higoumène précise à Anthémios que malgré la générosité de cette donation, il n'aura pas droit à un traitement spécial durant son noviciat et devra suivre les mêmes règles que le reste de la communauté. Après quoi, Anastase lui renouvelle bon accueil et l'invite à poursuivre l'entretien avec Georges, puis se retire de la salle avec la bourse en vue de la remettre à l'économe du monastère.

 Anthémios, en cette fin de chapitre, se retrouve ainsi seul avec son maître, Georges. Ce dernier ne manque pas de charisme et met aussitôt le jeune homme à l'aise. Il lui explique dans les grandes lignes l'organisation du monastère et en quoi va consister sa formation à ses côtés. Il lui propose enfin d'effectuer une tournée afin de visiter le couvent et d'être présenté à l'ensemble de ses occupants. Cette visite et ses rencontres seront l'objet d'un autre post, le mois prochain. D'ici là, je vous souhaite de très belles Fêtes de fin d'année !
A bientôt.

Olivier.