dimanche 22 décembre 2013

Anthémios joue les infirmiers au monastère et découvre le pouvoir des plantes médicinales !


Pour ce dernier billet de l'année 2013, nous retrouvons Anthémios et Georges le surlendemain de la procession de Pâques décrite dans le post et le chapitre précédents. Ils sont amenés à porter assistance à un pèlerin de passage atteint de la malaria, l'occasion pour Anthémios de découvrir davantage le métier de Staurakios, l'herboriste du monastère...


Au début du dixième chapitre, Anthémios raconte que deux jours après la procession, au matin, Georges et lui faisaient chemin pour une nouvelle retraite dans la nature, lorsqu'ils furent sollicités près de l'auberge par Serge, le moine hôtelier. Ce dernier, affolé, leur explique qu'un voyageur de passage y souffre de fortes fièvres. Georges fait immédiatement venir Staurakios l'herboriste afin qu'il ausculte au plus vite le malade. Malgré un examen attentif, le diagnostic est difficile car le malade n'est pas en état de répondre aux questions et son accompagnant est muet. Staurakios réussit néanmoins à avancer en interrogeant Serge sur les symptômes que lui a décrit auparavant le malade puis sur l'itinéraire que ces voyageurs ont emprunté.  Serge lui apprend qu'ils sont originaires de Thrace et qu'ils reviennent de Myre, où ils sont allés se recueillir auprès du tombeau de Saint Nicolas
Icône de Saint Nicolas,
Monastère de Sainte Catherine du Sinaï,
première moitié du XIIIème siècle
(Wikimedia Commons)

Ce saint était si réputé que l'on se déplaçait souvent de très loin pour venir honorer ses reliques et espérer un miracle (comme retrouver la parole pour ce muet par exemple...). Elles faisaient ainsi l'objet de l'un des pèlerinages, même si ce mot est encore anachronique pour cette époque, les plus populaires de tout l'Empire. Saint Nicolas était, au IVème siècle, l'évêque de Myre, une cité située en Lycie, sur la côte méditerranéenne, dans le sud-ouest de l'actuelle Turquie. Nicolas était si réputé pour sa charité qu'il fut sanctifié à sa mort, le 6 décembre 345. C'est pourquoi on fête encore de nos jours la Saint Nicolas le 6 décembre... La légende hagiographique le concernant précise qu'il sauva des mains du bourreau trois officiers injustement emprisonnés sous l'empereur Constantin. Mais les représentations iconographiques byzantines minimisant la taille des soldats par rapport à celle du saint font que les chrétiens d'Occident, bien plus tard, furent induits en erreur et prirent ces soldats pour des enfants... c'est ce qui explique que depuis le moyen-âge, et de nos jours encore, ce saint est associé à l'enfance...
Tombeau original de Saint Nicolas dans la basilique de Myre
(Wikimedia Commons - Sjoehest)

Les ossements de Saint Nicolas restèrent dans le tombeau de Myre jusqu'à la fin du XIème siècle, mais en 1087 des marins originaires de Bari, en Italie, les dérobèrent et les ramenèrent dans leur cité d'origine. La réputation miraculeuse de ces reliques qui suinteraient, selon la légende, une huile sacrée, a semble-t-il attiré ces voleurs. En tout cas ce forfait vieux de neuf siècles fait que saint Nicolas est toujours le saint patron de la ville de Bari et ses reliques reposent dans la basilique qui y a été édifiée en leur honneur. C'est depuis cette translation à Bari que la réputation de saint Nicolas a vraiment essaimé à travers toute l'Europe occidentale et que celui-ci est ensuite devenu au fil du temps le saint de tous les enfants, sous le nom de Santa Claus ou du Père Noël... on est loin de la Laponie et des rennes dans la neige...  

Serge donne ensuite à Staurakios des détails sur l'itinéraire retour des deux pèlerins thraces. Il lui apprend ainsi qu'ils furent amenés à traverser l'ensemble des régions qui jalonnent la côte ouest de l'Anatolie. En insistant, Staurakios réussit à obtenir une information supplémentaire et capitale : le moine hôtelier lui apprend que les deux hommes ont séjourné dans une cité de Carie nommée Kaunos.
Mosaïque à proximité de la basilique byzantine de Kaunos
(Wikimedia Commons - Kjf Webmaster)
Or, celle-ci est connue pour être particulièrement malsaine, infestée de moustiques puisque construite à proximité d'une lagune. Cette bourgade vit alors d'ailleurs essentiellement de la production de sel et de salaisons. Le site naturel n'en demeure pas moins superbe comme vous le montre cette photo panoramique ci-dessous.

Vue panoramique du site et du port de Kaunos (Wikimedia Commons - Jörg Hempel)
Anopheles Albimanus sur un bras humain,
l'une des espèces de moustique véhiculant le paludisme
(Wikimedia Commons - CDC)
Depuis l'Antiquité, les habitants de cette ville sont réputés pour être constamment fiévreux et malades à tel point que cela est vite devenu un sujet de plaisanterie. Staurakios comprend très vite que ce pèlerin y a contracté le paludisme, qu'il désigne sous le terme de "fièvre des marais"...   A cette époque, on ne connaît bien sûr pas encore les causes de cette maladie, mais on sait qu'elle est liée aux zones marécageuses et on suspecte que l'air n'y est pas sain (d'ailleurs, le terme de "malaria" vient de l'italien "mauvais air"), mais sans incriminer forcément les moustiques... Le malade est conduit à l'infirmerie du monastère. Staurakios se rend alors dans l'herboristerie située dans la pièce voisine pour y préparer une décoction d'écorce de saule blanc (Salix Alba) afin de lutter contre la fièvre. 
Saule Blanc (Wikimedia Commons - Willow)

L'écorce de saule blanc était déjà connue depuis l'Antiquité pour combattre efficacement la fièvre, Hippocrate (460-377 av. J.C.) la prescrivait déjà. Celle-ci a donc des vertus fébribuges réputées depuis la nuit des temps, mais elle a aussi des qualités antalgiques, anti-inflammatoires ou antiseptiques notamment, à tel point qu'elle fut étudiée de près au XIXème siècle et qu'on en découvrit alors la substance active : l'acide salicylique, dont la synthèse chimique est plus connue sous le nom d'aspirine...
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samedi 19 octobre 2013

Etrange phénomène dans l'église du monastère : le personnage représenté sur l'icône mystérieuse a changé d'expression !


Le blog des "Icônes de sang' fait enfin sa rentrée et reprend son cours avec le neuvième chapitre qui voit Anthémios être confronté à un phénomène extraordinaire dans le catholicon. Ce jour-là, le dimanche de Pâques, il découvre en effet que l'inconnu représenté sur l'icône mystérieuse a changé d'expression ! Ce personnage arbore désormais "un sourire inquiétant" (titre de ce chapitre), ce qui ne manque pas d'intriguer Anthémios...


Au début de ce nouveau chapitre, nous retrouvons Anthémios, âgé, dans sa chambre, en train de livrer sa confession à Justin. Le prêtre intervient pour lui demander de préciser ce qu'il a à confesser car il ne sait toujours pas pourquoi Anthémios dit avoir invoqué le diable durant son séjour dans ce monastère. Pour le moment, tout lui semble relativement normal dans ce qu'Anthémios lui a décrit de son parcours de novice. Il aimerait que son ami en vienne aux faits. Anthémios le rassure et lui promet qu'il va y venir. Il lui apprend que, selon lui, tout a sans doute commencé le jour du dimanche de Pâques dans l'église du monastère...
Staurothèque byzantine datant du début du IXème siècle
(Wikimedia Commons - Metropolitan Musem of Art)

Ce matin-là, dans le catholicon, eut lieu la Grande Liturgie de Pâques. Anthémios fut émerveillé par l'atmosphère qui régnait durant la cérémonie : la lumière dans la nef, les effluves d'encens, les objets du culte mis à l'honneur, en particulier la staurothèque contenant une relique de la Croix, témoignage de la Passion du Christ (ce reliquaire a déjà été évoqué lors d'un précédent post, en janvier, la photo ci-contre vous en présente un exemple datant de l'époque du roman, au début du IXème siècle), et surtout par les chants majestueux plus beaux que jamais en cette fête la plus importante de l'année.
Codex musical byzantin du XVème siècle,
à l'effigie du chantre Jean Coucouzèle (1280-1360),
monastère Megisti Lavra, Mont-Athos
(Wikimedia Commons)

En interprétant les différents chants, hymnes ou psaumes de Pâques, comme le Doxastikon ou le Polyéléos, Anthémios ressentit de fortes émotions et fit l'admiration de Démétrios, le chantre, et de Georges, son maître. Le jeune novice éprouva bonheur et fierté durant cette Grande Liturgie. L'image ci-contre vous donne un aperçu d'un ouvrage musical byzantin, comportant notamment des neumes, la notation musicale médiévale.

C'est en quittant l'église, à la fin de la cérémonie, pour rejoindre le réfectoire, qu'Anthémios remarqua que l'icône à l'inconnu avait quelque chose de particulier ce jour-là. En l'observant plus attentivement, il remarqua que le personnage arborait désormais un sourire. Stupéfait, Anthémios s'en va vite rejoindre son maître Georges à l'extérieur du catholicon. Il parvient à le décider à revenir dans l'église. Là, il lui demande d'observer le personnage pour vérifier s'il ne remarquait rien d'anormal. Mais quand Anthémios lui affirme qu'il a changé d'expression avec ce sourire, Georges se montre sceptique. Pour lui, cet inconnu a toujours été vaguement souriant.

Anthémios reste catégorique et pour lui l'image n'était pas souriante auparavant. Il cherche alors à savoir si elle n'avait pas été retouchée par Manuel, le peintre, tout récemment. Georges exclue cette possibilité, et pour trancher il propose de prendre à témoin un tiers et s'adresse à Alexandre, l'ecclésiarque, présent dans le catholicon à cet instant. Il lui expose le problème et lui demande ce qu'il en pense, en tant que responsable des objets du culte. Mais le vieux moine sacristain a du mal à se prononcer car sa vue lui joue des tours. Il est incapable de dire si l'icône lui semble comme à l'habitude ou non. Pour lui, son expression a toujours été ambiguë. Il y avait peut-être un léger rictus mais rien de franc... Bref, son avis ne leur apporte rien de bien nouveau , en tout cas il ne confirme pas la conviction d'Anthémios à ce sujet. Pour Georges, très sceptique, Anthémios se fait des idées. Il met fin à cette conversation en lui proposant de se rendre au réfectoire pour le repas pascal. Une fois à table, Anthémios mange sans empressement ni appétit, il est très troublé par cette vision. Il se demande si ce sourire n'était pas un mauvais présage. Inquiet, il se souvient alors de l'avertissement que la sorcière lui avait adressé la veille de son arrivée au monastère. 

Plus tard, dans l'après-midi, Anthémios participe avec l'ensemble des autre moines à la traditionnelle procession que la communauté organise à l'extérieur du monastère devant le portail, à l'attention des dévots de la région. A cette occasion, unique dans l'année, les moines ont sorti la staurothèque et les icônes de la clôture du monastère pour les rendre accessibles au public. A l'approche de ces reliques, les dévots espèrent une bénédiction en leur adressant des prières ou en les embrassant. C'est le seul moment dans l'année où l'ensemble des moines peuvent être en relation avec le monde extérieur. La foule attirant les mendiants et les infirmes, l'affluence à l'entrée du monastère est importante. 
Procession à proximité du catholicon du monastère Esphigménou, au Mont Athos,
lors de l'Ascension en juin 1978 (Wikimedia commons - Lipsio)
Les moines offrent également la possibilité, moyennant finance, de prélever de la poudre d'icône en raclant légèrement la peinture. Une fois recueillie celle-ci est mélangée à du vin, et la mixture miraculeuse obtenue est censée protéger et guérir celui qui la boit. La poudre peut être aussi vendue sans être diluée, pour être emportée et consommée plus tard par le dévot. Cette pratique, sans être systématique, était assez répandue dans les églises, les monastères ou les lieux de pèlerinage byzantins. Ce rituel n'est donc pas spécifique à ce monastère fictif. 

C'est Manuel, l'iconographe, aidé de son assistant Alexis, qui est chargé de cette tâche.  La forte affluence et le succès de ce rite font que Manuel doit utiliser l'ensemble des icônes pour fournir la quantité de poudre suffisante. Il lui faut en effet alterner les images pour éviter d'en endommager une plus particulièrement. Sur la fin, le peintre doit se résoudre à utiliser les deux icônes mystérieuses, ce qu'il n'avait jamais eu à faire les années précédentes... Il demande d'abord à Anastase, l'higoumène, ce qu'il en pense. Celui-ci lui donne son accord. La poudre de l'icône de la vierge à l'enfant fut ainsi servie à une demi-douzaine de personnes, quant à celle tirée de l'icône à l'inconnu, elle fut destinée à l'usage d'une famille de paysans de la région : un couple et ses trois enfants, chacun d'eux consommant une gorgée de cette mixture. 

Ainsi se termina ce dimanche de Pâques, qui, pour Anthémios, restera d'abord marqué par cette incroyable histoire d'icône changeant d'expression et qui l'inquiéta profondément.

A bientôt pour un nouveau post sur le blog des "Icônes de sang" !

Olivier.     

   

  

mercredi 14 août 2013

Une retraite philosophique en pleine nature en compagnie de Frère Georges et d'Anthémios ! (2/2)

Nous retrouvons Anthémios et son maître, Georges, pour la suite de leur retraite philosophique au milieu de la nature que nous avions commencé le mois dernier dans le post précédent. Il y est encore question de quête de la sagesse, mais Georges revient surtout aux fondamentaux en tentant de définir d'abord ce qu'est la sagesse, en s'appuyant en particulier sur Platon et la pensée socratique. C'est un nouvel instant de révélation pour le jeune postulant... 


Dans cette partie du huitième chapitre, Georges laisse Anthémios réfléchir et méditer sur ce qu'il vient de lui dire, puis il finit par lui poser une question plus abrupte : selon lui, qu'est-ce que la sagesse ?
Héraclite, peinture de Johannes Moreelse, vers 1630,
Centraal Museum d'Utrecht  (Wikimedia Commons)
Platon, Sénèque et Aristote, enluminure du XIVème siècle
tirée d'un manuscrit regroupant différents textes philosophiques,
vers 1325-1335, Devotional and Philosophical Writings London
(Wikimedia Commons)

Anthémios est confus, car il comprend bien la difficulté de la question, mais n'ayant pas de réponse satisfaisante à fournir il reste muet et gêné. Georges éclate alors de rire et le charrie un peu avant d'évoquer avec lui les conceptions de la sagesse, souvent fort différentes, qu'ont eu de grands philosophes : Héraclite, Aristote ou Sénèque. 

Mais c'est sur Socrate qu'il préfère insister, car sa méthode lui paraît la plus probante. Georges se base plus particulièrement sur un dialogue socratique de Platon : Le Charmide. Anthémios découvre ainsi la démarche dialectique de Socrate : la maïeutique, l'accouchement de l'âme.
Portrait de Socrate,
marbre romain du Ier siècle,
Musée du Louvre
(Wikimedia Commons - Eric Gaba)
Fac similé d'une page du Codex Oxoniensis Clarkianus 39,
manuscrit daté de 895 et présentant le début
du dialogue du Charmide (Wikimedia Commons - Sijthoff)




Le dialogue du Charmide tourne autour de la définition de la sagesse et met en scène Socrate, Charmide, un jeune homme censé représenter l'idéal de la personne humaine dans la pensée philosophique grecque traditionnelle (l'homme "kalos kaï agathos", littéralement "beau et bon") et enfin l'oncle de ce dernier : Critias. Dans ce dialogue, Socrate cherche à démonter et contrer les vertus supposées de Charmide, tandis que Critias cherche, lui, à les défendre. 

Par un habile jeu de questions, Socrate parvient aisément à placer son interlocuteur dans une auto-contradiction. Ce dernier en vient à se remettre en cause dans ces certitudes, à le disposer dans une plus grande modestie intellectuelle. Il va devoir se poser des questions sur lui-même, sur ce qu'il sait vraiment... bref, se connaître lui même...

Georges aborde ainsi le fameux précepte du "Connais-toi, toi-même" (le Gnothi Seauton), que l'on peut lire sur le fronton du temple de Delphes, dans le sanctuaire d'Apollon.
Temple d'Apollon à Delphes, sanctuaire des oracles (Wikimedia Commons - Frank Fleschner)

L'objet de ce dialogue, plus que de définir la sagesse, est donc de pousser à faire cet examen de soi pour se mettre dans les meilleures dispositions intellectuelles pour apprendre. C'est d'ailleurs ainsi que Georges clôture son allégorie en précisant à Anthémios que l'essentiel n'est pas de remplir entièrement son canthare, mais de faire la démarche nécessaire pour y parvenir en adoptant cette honnêteté intellectuelle. 
Abside de l'église Saint Jean du monastère du Stoudios,
bâtie vers 462, l'un des plus anciens vestiges d'église
encore visible à Istanbul (Wikimedia Commons - Imrahor)

Anthémios comprend très bien le message. Mais curieux comme toujours il demande à son maître comment il a connu le dialogue du Charmide, et celui-ci lui répond qu'il l'a étudié parmi d'autres textes profanes lorsqu'il se trouvait dans d'autres monastères, en particulier au Stoudios, le monastère le plus important de Constantinople (dont il reste quelques ruines visibles à Istanbul, voir photo ci-contre), ainsi que dans celui qu'il connut auparavant dans sa région sur les pentes du Mont Olympe de Bithynie.
Le Mont Uludag (Wikimedia Commons - Tone)

Une montagne aujourd'hui connue sous le nom d'Uludag ("montagne haute" en turc), 2 543 m, dans le nord-ouest de l'actuelle Turquie, et dont le surnom turc reste "la montagne des moines", tant la présence de monastères et d'ermites était importante à l'époque byzantine. De nos jours, cette montagne a perdu quelque peu de son aura mystique et elle est désormais plutôt célèbre pour le tourisme, puisque qu'elle est un spot important pour le trekking et le camping l'été et que se trouve sur ses pentes l'une des principales station de ski turque... 


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samedi 20 juillet 2013


Une retraite philosophique en pleine nature en compagnie de Frère Georges et d'Anthémios ! (1/2)

Pour ce post estival, juste avant les vacances, le blog reprend son cours avec le huitième chapitre qui voit Anthémios poursuivre sa confession et Justin l'interroger sur sa formation et les cours qu'il a suivi au monastère. Le vieillard va lui raconter ses cours de chant et de peinture, mais il va surtout s'attarder sur une conversation philosophique qu'il eut avec Georges lors d'une retraite en pleine nature...


Anthémios évoque ses cours d'iconographie avec Justin, mais il élude assez vite le sujet, expliquant qu'il n'était pas doué pour la peinture. Il profite néanmoins de l'occasion pour rapporter à son confesseur que Georges lui révéla, après le dernier de cours de peinture que suivit Anthémios, qu'il n'avait pas de bonnes relations avec Manuel, le peintre. Leur différend remontant à la dernière élection pour la charge d'higoumène du monastère, Georges préférant apporter son soutien à Anastase plutôt qu'à Manuel, tous deux rivaux lors de cette élection. Anthémios comprend mieux ainsi la tension qu'il avait décelé entre les deux hommes et apprend ainsi que dans la tradition du monastère on procède à une élection lorsque vient le moment de nommer un successeur à l'higoumène décédé. Ce qui n'est pas le cas dans tous les monastères, notamment les établissements impériaux ou familiaux qui procèdent par décret ou succession préalablement désignée.

Anthémios s'attarde davantage sur ses cours de chant, un art pour lequel il est beaucoup plus doué. Il lui raconte comment, au contact de Frère Démétrios, il s'est découvert ce talent, comment il a pris confiance en lui et comment il a su corriger ses erreurs et ses hésitations. Justin découvre ainsi que c'est lors de ces cours qu'Anthémios a acquis les bases du chant. Il comprend mieux la maîtrise qu'il lui connait aujourd'hui dans ses vieux jours.  Anthémios lui précise que c'est Frère Démétrios qui lui a appris à interpréter les neumes, c'est à dire les annotations qui se situent au dessus du texte des chants sacrés médiévaux, pour accentuer musicalement les syllabes.

Icône représentant Athanase d'Alexandrie
(Wikipedia Commons / Benutzer Irmgard)
Anthémios enchaîne ensuite avec les cours que Georges lui enseignait lui-même : Saintes Ecritures, Philosophie, Poésie, Histoire, Géographie, Théologie ou Hagiographie... Dans cette dernière matière, consacrée à la vie des saints, il se souvient avoir étudier la "Vie de saint Antoine" par Athanase d'Alexandrie (298-373). 

Mais c'est à la vie de Basile de Césarée que la plupart de ces cours étaient dédiés. Anthémios apprit d'ailleurs durant ces cours les règles basiliennes, toutes en vigueur dans le monastère : 55 grandes règles et 313 petites règles... pas moins...
Miniature du XVème siècle représentant Basile de Césarée
tenant en main un parchemin énumérant ses règles, Mont Athos
(Wikipedia Commons / Origenes)

Justin en vient ensuite à l'interroger sur le goût de Georges pour les retraites et la contemplation, et si Anthémios avait lui-même eu l'opportunité d'en expérimenter une. Anthémios lui confirme qu'il en a effectué une, aux côtés de Georges, rapidement, à peine un mois après son arrivée au monastère. Elle eut lieu dans un site isolé, en pleine nature, non loin du monastère. Ils prirent place sur une plateforme rocheuse, à l'abri d'un arbre. De là il dominaient l'Hellespont et pouvaient observer la rive asiatique en face d'eux, ainsi que le Cap Hellès. La vue était magnifique et l'endroit calme. Idéal pour le recueillement et propice à la contemplation. Georges fait longtemps silence et Anthémios savoure ce long moment de quiétude à l'air libre après être resté enfermé dans la clôture du monastère pendant plus d'un mois. 

Georges finit par le questionner en lui demandant ce qu'il avait éprouvé durant cet instant de recueillement. Anthémios lui parle alors du bien être qu'il a ressenti, son plaisir à reprendre contact avec la nature. Georges veut creuser le sujet avec son élève et lui pose habilement des questions toujours plus précises qui amènent Anthémios à admettre que ce qu'il a ressenti était proche d'une communion avec la création. Il admet comme avoir ressenti ce qu'il y avait de divin en lui. Georges lui fait ainsi comprendre ce que la contemplation pouvait lui apporter dans sa démarche mystique : elle l'a rapproché de la sagesse divine.

Buste de Cicéron par Bertel Thorvaldsen,
Musée Thorvaldsen, Copenhague
(Wikipedia Commons / G Bach Pedersen)
S'appuyant sur la définition de la sagesse selon Cicéron, son maître lui conseille également de ne pas négliger les choses humaines qui font aussi partie de la sagesse, comme les choses divines.

Il ne lui cache pas que l'acquisition de cette sagesse humaine est difficile. Pour illustrer cette difficulté et la nature de cette sagesse, il prend pour exemple la mer, qu'ils peuvent admirer de là où ils se trouvent, et lui demande d'imaginer que celle-ci est composée d'une infinité de gouttes d'eau. Si chaque goutte d'eau représente une idée humaine, on se retrouve face à un océan d'idées produites par l'homme. Mais parmi ces gouttes très peu nombreuses sont celles porteuses de sagesse. Elles suffiraient tout juste à remplir un ustensile quelconque, Georges prend l'exemple d'un canthare (d'où le titre de ce chapitre "un canthare à remplir"), qui désignait à l'époque byzantine une cruche au col allongé. Les autres gouttes, ultra majoritaires, ne sont que des idées ineptes ou néfastes.

Saint Augustin par Philippe de Champaigne,
huile sur toile, 1645-1650, LACMA
(Wikipedia Commons)
Georges lui fait ainsi comprendre que la sagesse humaine, dans ce flot d'idées, est difficile à localiser et à distinguer. Il faut donc faire l'effort et avoir l'humilité de la chercher  partout où elle peut être : ne pas chercher les gouttes que sur le premier rivage venu mais parcourir les mers pour les trouver sur d'autres rivages, quitte à les chercher auprès d'autres cultures, d'autres traditions, civilisations ou religions. Il cite saint Augustin à cette occasion pour exprimer magnifiquement cette idée : "Le monde est un livre, et ceux qui ne voyagent pas n'en lisent qu'une page". 

Or, en tant que moine, Anthémios n'aura pas l'occasion de beaucoup voyager, ni de rencontrer beaucoup de monde, il le pousse donc à trouver cette sagesse dans les livres, vers une boulimie de livres qui nourrira ses connaissances et sa culture et lui permettra plus tard de distinguer par lui même ce qui relève de la sagesse ou de l'erreur.

Nous poursuivrons cette retraite philosophique en pleine nature lors du prochain post.
Nous verrons comment Georges aidera Anthémios à remplir son canthare en évoquant Socrate et Platon...

En attendant, je vous souhaite à tou(te)s d'excellentes vacances et un bon été !

A très bientôt.

Olivier.   


   

vendredi 17 mai 2013


Frère Georges vous fait découvrir les origines du monachisme et vous entraîne dans une ascension spirituelle !


Après un break de deux mois, le blog reprend son cours pour en arriver au septième chapitre intitulé "Une même montagne à gravir", lequel amorce une phase plus initiatique dans le roman. Assis dans le jardin de contemplation, Frère Georges et Anthémios y reprennent la discussion qu'ils avaient interrompue à la fin du chapitre précédent. Le maître entend tout d'abord présenter à son disciple les origines du monachisme, puis au fil de la conversation il en viendra à lui parler de manière plus générale de la démarche mystique et de son universalité.. Anthémios entrevoit alors toute la culture, la sagesse et l'anticonformisme de son maître...



"Saint Antoine le Grand rencontre Saint Paul de Thèbes",
Velasquez, Musée du Prado, Madrid,
1635-1638, huile sur toile (Wikipedia Commons)
Frère Georges rappelle à Anthémios que c'est 500 ans plus tôt, au IVème siècle, en Egypte, avec les premiers ermites précurseurs, Paul de Thèbes et Antoine de Pispir (dit Antoine le Grand), que s'est développé l'idée d'observer scrupuleusement les préceptes évangéliques en fuyant le monde pour mener une vie de renoncement et de prière.

Il lui parle également d'autres Pères du Désert ayant suivi ces premiers exemples comme Saint Amoun et Saint Macaire, en Egypte, et évoque d'autres anachorètes en Palestine ou au Sinaï. 
Saint Macaire et un Chérubin,
icône du XIXème siècle
(Wikipedia Commons)

Il insiste sur l'importance de ces Pères du Désert, auteurs des apophtègmes, ces textes de référence de la tradition monastique. Il précise toutefois que le premier ermite à avoir formé véritablement une communauté monastique (le cénobitisme par opposition au simple érémitisme) est Pacôme, dans le désert de Thébaïde, et qu'il est le premier à avoir instauré des règles écrites que ses moines (les cénobites) doivent appliquer dans le cadre de leur laure (monastère). 


Saint Basile de Césarée,
mosaïque du XIème siècle
(Wikipedia Commons)
Cette première expérience de vie communautaire en inspirera beaucoup d'autres, notamment celle de Saint Basile, originaire de Césarée (aujourd'hui Kayseri en Turquie) en Cappadoce, à la fin du IVème siècle. Le monastère que vient de rejoindre Anthémios se plie au règlement de Saint-Basile qui se décompose en une centaine de grandes et petites règles.   
Vestiges de la colonne
de St Siméon le Stylite,
Qalaat Samaan, Syrie 
(Wikipedia Commons - Bo-Deh)

Georges explique aussi que dans ces premiers temps de l'érémitisme et du monachisme (IVème et Vème siècles), la vie anachorétique a connu également des expériences originales, extrêmes ou insolites, en Syrie ou en Palestine. Il évoque ainsi les dendrites, des ermites qui vivaient isolés dans des arbres creux, les moines brouteurs, qui survivaient dans la steppe en se nourrissant de racines ou d'herbes, et les stylites, qui s'installaient sur des plateformes fixées au sommet de colonnes et qui y passaient des dizaines d'années. Georges prend l'exemple de Saint Siméon, le plus connu des stylites qui passa une quarantaine d'années en haut d'une colonne en Syrie.   
Daniel le Stylite, Ménologion de Basile II, XIème siècle (Wikipedia Commons)

Anthémios est complètement époustouflé par ces expériences qui lui paraissent surhumaines. Son maître lui explique que c'est par la force de l'esprit et le renoncement que l'homme de foi peut trouver en lui les moyens de surpasser toutes les souffrances et privations, de se transcender et de ressentir ou découvrir le divin en soi.

Georges lui explique que cette quête ascétique n'est pas exclusivement chrétienne et qu'elle est universelle. Il le fait en prenant l'exemple, en Inde, des moines sadhûs (un mouvement connu depuis l'Antiquité puisque Alexandre le Grand les désignait sous le terme de "gymnosophes", littéralement "les sages nus") qui vivent dans le renoncement le plus total, déambulant nus, vivent de dons, méditent et recherchent l'absolu.
Deux Sadhû, à Katmandou en 2006, près du Temple sadhû de Pashupatinath (Wikipedia Commons - Luca Galuzzi)
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vendredi 22 mars 2013


Des images mystérieuses et controversées dans l'église du monastère !

Ce mois-ci nous retrouvons Anthémios lors de sa visite de l'église, pendant laquelle il découvre l'histoire de deux étranges icônes dont l'origine même s'avère mystérieuse : certains les pensent miraculeuses ou divines, d'autres diaboliques ou néfastes... Son maître Georges lui révèle la légende qui entoure ces icônes et qui est liée à un ancien moine du monastère, d'où le titre de ce sixième chapitre : "l'étrange histoire des icônes du moine Jean"...

Alors qu'il termine sa visite de l'église, Anthémios observe des icônes apposées sur des pupitres. Son attention est particulièrement attirée par deux icônes exposées dans un coffret en ivoire et formant un diptyque. 
Icône à l'encaustique représentant Saint-Pierre,
VIème siècle, Monastère de Sainte Catherine du Sinaï 

(Wikimedia Commons / Ghirlandajo)

Il constate d'abord que contrairement aux usages habituels ces images ne comportent aucunes initiales, ni objet ou signe distinctif confirmant qui est représenté sur l'icône. Cette particularité est remarquable puisque depuis les premiers âges de l'iconographie chrétienne il est d'usage d'indiquer qui est représenté sur une image, soit par des initiales, soit par un objet ou un animal symbolique. L'icône ci-contre, très ancienne, puisque datée du VIème siècle, l'illustre parfaitement : Saint-Pierre y est représenté avec des clefs en main.

Anthémios est surtout interpellé par l'icône située à gauche du ditptyque et représentant un homme inconnu dont il se dégage un fort magnétisme. Tandis que celle placée à droite représente manifestement une vierge à l'enfant. 

Dans un premier temps, Georges lui apprend que selon la légende ces icônes ne sont pas d'origine humaine mais divine. Elles sont dites "acheïropoiètes" (littéralement "non faites de la main de l'homme") et seraient donc apparues miraculeusement ! 

Négatif du Saint Suaire de Turin photographié en 1931
(Wikimedia Commons - Giuseppe Enrie)

De nos jours, l'exemple le plus célèbre d'une image miraculeuse reste le Saint Suaire de Turin mondialement connu. Mais il y en eut bien d'autre auparavant à commencer par l'histoire du Mandylion, aussi appelé "image d'Edesse". Dans cette ville du sud-est de l'actuelle Turquie, appelée aujourd'hui Urfa, était conservée une pièce de tissu sur laquelle aurait été miraculeusement imprimée l'image du Christ. Elle sera conservée jusqu'au Xème siècle à Edesse, avant d'être transférée à Constantinople et d'y être dérobée en 1204 lors du sac de la capitale par les Croisés.... transférée en France, Saint-Louis la placera en relique à la Sainte-Chapelle. Le Mandylion disparaîtra définitivement sous la Révolution, sans doute détruit.           
Abgar V, roi d'Edesse, recevant le Mandylion,
icône du Xème siècle (Wikimedia Commons)
Anthémios est épaté par cette révélation mais Georges lui explique que cette origine est controversée, car les contemporains de Jean étaient partagés quant à la nature de ces icônes : certains moines les pensaient effectivement divines, d'autres les estimaient diaboliques (d'autant qu'elles sont apparues en 666...) et il y a enfin ceux qui prenaient Jean pour un manipulateur. Le débat ne fut jamais totalement tranché, et les icônes finirent par faire partie du décor, d'autant plus qu'elles ne semblaient pas devoir porter préjudice au monastère.

Anthémios s'intéresse ensuite à l'identité du personnage inconnu. Georges lui confirme que cela reste un mystère. Il lui présente les différentes hypothèses évoquées lors de l'apparition de ces images : il pourrait s'agir de la véritable image de Dieu, de celle de l'Antéchrist ! ou celle de Satan lui-même ! ou plus simplement d'un autoportrait de Jean ? Le mystère reste encore entier...

Les deux hommes quittent ensuite le catholicon pour le réfectoire. Anthémios va prendre son premier repas au sein de la communauté. Il découvre à cette occasion les rites liés au repas (lecture des Saintes écritures, bénédiction, régime à dominante végétarienne, silence pendant le repas, etc...). 
Platon et Aristote, détail de la fresque de "L'Ecole d'Athènes"
de Raphaël, au Vatican, 1509 (Wikimedia Commons - Jacobolus)

Après le repas, Georges convie Anthémios au jardin près de l'église. Ce lieu est dédié à la contemplation et le maître en profite pour expliquer à Anthémios les vertus et les bienfaits de cette pratique. Georges lui expose les principes de cette démarche mystique et lui parle des Anciens qui défendaient déjà les approches contemplatives : Pythagore, Platon, Aristote ou les néoplatoniciens. Il met aussi en relief les difficultés et les bénéfices de cette démarche.  

Le maître compte ensuite présenter à son disciple les bases, l'histoire et les grands principes du monachisme mais cela fait l'objet d'un autre chapitre sur lequel nous reviendrons lors d'un prochain post.

A bientôt.

Olivier.   

jeudi 21 février 2013


Un plan du monastère pour vous repérer durant votre lecture de "La confession d'Anthémios" !


Pas de post ce mois-ci sur le blog, mais un outil pratique pour vous accompagner lors de votre lecture de mon roman : une carte détaillée du monastère !




75% de l'action du roman se déroulant dans l'enceinte du monastère, il me paraissait utile de mettre à votre disposition un plan détaillé du couvent. Les tous premiers lecteurs de mon manuscrit m'en parlaient déjà il y a quelques années, voici enfin ce document !



Comme le découvre Anthémios lors de sa visite, l'établissement est d'une conception simple, les bâtiments formant une cour carrée avec l'église au centre. 



Chaque aile ayant une vocation spécifique : le repos au nord (chambres, cellule et dortoir y sont réunis), l'étude, la réflexion et les arts à l'est (les ateliers, la bibliothèque, le scriptorium, la trésorerie et le bureau de l'higoumène y sont regroupés), la nourriture, l'hygiène et la toilette au sud (infirmerie, herboristerie, cuisine, réfectoire, entrepôt, balnea et latrines y sont concentrés) et enfin à l'ouest, des parties plus utilitaires (pressoir, moulin, four à pain, huilerie) ou plus en lien avec la vie collective du monastère (salle capitulaire).



Bonne consultation et à bientôt.



Olivier.




samedi 19 janvier 2013


Frère Georges vous fait faire le tour du monastère, suivez le guide !

Pour ce premier post de l'année 2013, nous retrouvons Anthémios lors de sa découverte du monastère et de ses occupants. C'est son maître, frère Georges de Bithynion, qui mène la visite et les présentations... Suivons les !

Dans le cinquième chapitre, Anthémios, qui vient d'être accepté au monastère en tant que postulant, et qui vient de rencontrer frère Georges, son maître, effectue la visite du monastère et rencontre ses occupants. C'est évidemment Georges qui lui fait faire le tour de l'établissement et le titre de ce chapitre et on ne peut plus explicite : "A la découverte d'un monastère et de sa communauté".

Lorsque Georges et Anthémios sortent de la salle d'audience, ils se dirigent tout d'abord vers le nord de la cour où se trouvent les chambres et le dortoir. Lors de ce bref parcours, Anthémios a un aperçu de l'aspect de l'église du monastère et de l'intérieur de la cour. L'église est conçue selon un modèle ancien, celui des basiliques romaines (voir plan type de gauche ci-dessous). Il ne suit pas celui plus répandu et plus moderne que l'on appelle aujourd'hui "en croix grecque" (et a fortiori sa variante plus élaborée, dite "en croix grecque inscrite", voir plan type de droite ci-dessous), et qui fut popularisé et adopté à partir de la conception, dans les années 530, de la basilique Sainte Sophie de Constantinople par Isidore de Milet et un certain Anthémios de Tralles à qui notre héros doit son prénom...  
Plan de Saint-Paul-hors-les-murs à Rome
(Wikimedia Commons - Dehio Bezold, Fb78) 
Plan type d'une église en croix grecque inscrite
(Wikimedia Commons - Calame)


La construction de l'église du monastère et la fondation de celui-ci sont antérieures d'une dizaine d'années à cette innovation architecturale. L'édifice, avec son plan basilical, paraît ainsi un peu archaïque aux yeux d'Anthémios.

Cette église, dans le roman, est souvent désigné sous le terme de "catholicon". Terme qui s'emploie pour évoquer l'église principale d'un monastère orthodoxe, or c'est un peu un abus de langage de ma part, car celui que rejoint Anthémios ne compte qu'une seule église (si l'on fait abstraction de la chapelle réservée aux voyageurs à l'extérieur du monastère). Si c'est la seule, par conséquent, c'est donc la principale... Enfin, ce terme est par ailleurs un peu anachronique, car s'il est utilisé dans les monastères orthodoxes, il ne l'était pas forcément à l'époque byzantine. Le terme de "naos", ou tout simplement d'église, conviendrait mieux, mais j'ai préféré garder le terme de "catholicon" pour sa sonorité et son côté plus solennel... voilà pour ma tambouille d'écrivain... et j'espère que les puristes qui liront ce post et/ou mon roman me pardonneront ;) 

Le fait qu'il n'y ait qu'une seule église dans ce monastère est d'ailleurs une particularité. Car en théorie, selon le culte, les offices de la journée ne doivent pas être effectués sur un même autel et c'est pourquoi les monastères comptent fréquemment plusieurs chapelles en plus de l'église principale... mais fréquemment ne veut pas dire systématiquement... et pour mon monastère, qui est totalement fictif (Il n'y a jamais eu de monastère dans ce secteur, en tout cas pas après le Xème siècle, y en a-t-il eu auparavant et notamment à l'époque de mon roman ? visiblement pas, d'après les sources que j'ai pu exploiter), je voulais prévoir des singularités ou des traditions propres à cet établissement, afin de le crédibiliser davantage, plutôt que de le calquer sur un modèle trop "standard", ce qui m'aurait paru un peu artificiel. Ai-je bien fait ? à vous de me le dire chers lecteurs...  
Site du monastère de Martyrios aujourd'hui (Wikimedia Commons - Gilabrand)

Pour ce qui est de la conception générale du monastère (bâtiment formant un carré fermé avec l'église principale au centre de la cour), je me suis inspiré d'un établissement construit à la fin du Vème siècle, soit une quarantaine d'années avant la fondation de mon propre monastère : le monastère de Martyrios, à l'est de Jérusalem, situé aujourd'hui en Israël et qui était alors le monastère le plus important du désert de Judée avant qu'il ne soit abandonné et démoli après l'invasion musulmane au milieu du VIIème siècle. Son site a été découvert dans les années 80 lors de l'implantation et l'extension d'une colonie et il est depuis ouvert à la visite. Mon monastère s'en inspire dans les grandes lignes, mais il s'en différencie aussi à travers plusieurs détails : moins grand, pas de chapelles annexes, le portail d'entrée se situe du côté ouest de la cour et non pas à l'est comme c'est le cas pour le Martyrios, etc...

Après avoir découvert sa cellule et y avoir déposé ses affaires, Anthémios visite le dortoir. Georges l'emmène ensuite du côté est de l'enceinte où il va lui présenter respectivement plusieurs moines sur leur lieu de travail :
-Frère Hippolyte, l'économe, à la trésorerie,
-Frère Makarios, le bibliothécaire, assisté de frère Bélisaire à la bibliothèque,
Enluminures d'un mansucrit hagiographique byzantin
du XIème siècle (daté de 1020)
(Wikimedia Commons - Bibliothèque Nationale de France) 
-Frère Photios, l'enlumineur et son assistant frère Valentin, puis frère Basile, le copiste et ses deux traducteurs frères Valens et Avitus au scriptorium,

Lors de son passage au sciptorium, il découvre avec étonnement qu'Avitus travaille sur la traduction d'un coran. Et il est encore plus étonné d'apprendre que ce dernier appartenait à l'origine à frère Georges. Continuant leur visite, Georges conduit ensuite Anthémios dans l'atelier d'iconographie où il lui présente frère Manuel le peintre, et son assistant Alexis. La visite de l'aile est se termine ensuite par l'atelier d'ivoirerie, où oeuvre frère Narsès. 
Panneau d'ivoire représentant le Christ couronnant Romain II et Eudoxie.
Constantinople, milieu du 
Xème siècle. 
(Wikimedia Commons - Bibliothèque Nationale de France / Clio20) 

L'art ivoirier byzantin a connu son apogée du Vème au VIIème siècle. Mais à l'époque du roman, c'est devenu un art en déclin. Narsès n'a d'ailleurs pas de novice ou d'assistant, personne ne lui succédera à sa disparition... Ce déclin s'explique pour deux raisons : d'une part, la première période iconoclaste, au VIIIème siècle, a beaucoup nui à cet art, et d'autre part, la matière première est beaucoup plus rare et difficile à faire venir (et donc plus onéreuse) depuis que les débouchés du négoce de l'ivoire sont sous contrôle arabe (Le nord de l'Afrique - notamment l'Egypte - a été conquis par les Arabes au milieu du VIIème siècle au détriment des Byzantins). 
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