samedi 17 mai 2014

Accompagnez Anthémios lors de sa journée à Madytos ! 

Ce mois-ci le blog reprend son cours en suivant le fil du premier tome et se concentre sur le onzième chapitre qui voit Anthémios accompagner Georges à Madytos, la principale cité de la région. Le jeune garçon va y rencontrer un triste personnage, l'officier commandant la garnison de la ville, qui va littéralement le traumatiser. Retour sur ce chapitre important qui s'intitule justement "Sinistre rencontre à Madytos"...  

Au début de ce chapitre, Anastase, l'higoumène, demeure malade comme il l'était déjà durant le dixième chapitre, et ce malgré les soins de Staurakios l'herboriste. Ce dernier a en revanche réussi à soigner la petite paysanne dont la totalité de la famille est morte empoisonnée aux portes du monastère dans le chapitre précédent. Celle-ci, hébergée au monastère le temps de sa convalescence, sera recueillie par des moniales dans un autre couvent. Totalement diminué, l'higoumène confie à Georges la charge de diriger le monastère pendant son indisponibilité. Georges le suppléé ainsi pendant une quinzaine de jours et est amené à se rendre à Madytos, la principale cité des environs, où il doit représenter le monastère à l'occasion d'une convocation que l'évêque de la ville a adressé à Anastase. L'évêque a décidé de réunir un concile extraordinaire dans la basilique de la ville réunissant tous les responsables religieux du diocèse. Ce synode imprévu, dont le sujet n'a pas été révélé par l'évêque, ne manque pas d'intriguer Georges.

Le jour de la convocation, le dernier samedi d'avril, Georges se rend à Madytos en compagnie de Rhômanos, le cellérier, qui doit se rendre en ville pour des raisons logistiques. Il convie également Anthémios à se joindre à eux. Le jeune postulant est ravi d'avoir l'occasion de sortir de la clôture du monastère mais il se rend compte que son maître est visiblement inquiet. Il le remarque avant même qu'ils ne se mettent en chemin, dès l'orthros, l'office de l'aube. Les trois hommes quittèrent le monastère après cet office, Rhômanos dirigeant l'attelage tracté par deux mulets. Ils prennent la direction du nord-est, vers Krithia et les hauteurs de l'intérieur de la péninsule. Madytos étant située à une petite trentaine de kilomètres du monastère, il leur faut pratiquement toute la matinée pour s'y rendre à travers des chemins parfois accidentés dans une campagne qui a pris ses atours printaniers. 
Trajet du monastère à Madytos, photo satellite de la Péninsule de Gallipoli et du détroit des Dardanelles (Wikimedia Commons - NASA Landsat 7)
Georges reste préoccupé et demeure silencieux tout au long du trajet, perdu dans ses pensées. Il est visiblement inquiet. Pour rompre la monotonie du voyage, Rhômanos décide alors de discuter avec Anthémios. Il lui parle des possessions du monastère dans la péninsule, en particulier de ses propriétés agricoles : champs de céréales, granges, vergers, pâtures, etc... Il lui apprend ainsi que le monastère ne possède pas de vignes et qu'il lui faut donc acheter son vin. Rhômanos se rend d'ailleurs à Madytos pour en acheter chez un négociant. Rhômanos donne ainsi à Anthémios un aperçu du vaste domaine dont il doit assurer la gestion. Une bonne partie de ces terres étant louées à des parèques, c'est-à-dire des paysans qui ont un statut proche de celui de métayer, Anthémios comprend l'importance de ces revenus dans l'économie du monastère. A cette occasion, le jeune postulant pense au domaine de son père et devient nostalgique de son ancienne vie. Il pense à sa famille et en particulier à son père, dont il doit admettre qu'il lui manque. Remarquant que Georges ne s'intéresse pas à leur discussion, Anthémios finit par lui demander ce qui pouvait autant l'inquiéter. Son maître reste évasif et ne fait que lui confirmer qu'il craint une grave nouvelle, sans plus de précision. Anthémios n'insiste pas et le voyage se poursuit dans le silence. 
Flagellation de l'Hellespont par les troupes de Xerxès,
illustration d'artiste datée de 1909
(Wikimedia Commons) 

En fin de matinée, ils arrivent enfin dans les hauteurs qui dominent Madytos. Rhômanos fait une courte halte pour reposer les bêtes avant la descente et en profite pour raconter à Anthémios différentes anecdotes historiques sur cette ville située tout près de l'un des passages les plus étroits des Dardanelles. Le lieu, passage stratégique entre Europe et Asie Mineure, a souvent été le théâtre de batailles ou d'événements durant l'Antiquité. Rhômanos lui explique ainsi que c'est dans ce secteur du détroit que Xerxès, le grand roi perse du Ve siècle avant J.C., fit construire un pont en juxtaposant des centaines de navires entre les deux rives afin de faire traverser son immense armée de l'Asie vers l'Europe. Ce que ne lui précise pas Rhômanos, c'est que si l'armée perse a bien réussi à se rendre en Europe, la légende dit que les flots ont disloqué le pont lors des premières tentatives et que le fantasque roi perse fit fouetter la mer pour la punir...  

Il lui indique également qu'Alexandre le Grand fit aussi traverser ses troupes à cet endroit mais dans l'autre sens... lorsqu'il partit à la conquête de l'Asie. Rhômanos lui parle enfin des différentes batailles navales qui se sont déroulées à proximité, notamment durant la guerre du Péloponnèse entre les Athéniens et les Spartiates, au Ve siècle avant J.C. Il fait plus particulièrement référence à la bataille de Cynosséma, qui eut lieu près d'une pointe un peu plus au sud de la ville. Une bataille qui vit, en 411 avant J.C, les Spartiates de Lysandre l'emporter face aux Athéniens emmenés par le néarque Conon. 
Plaque précisant les règles douanières en vigueur dans l'Hellespont sous Anastase Ier,
Abydos, début du VIe siècle, musée archéologique d'Istanbul 

(Wikimedia Commons - Thorissen)

A l'époque byzantine, Madytos est une bourgade assez active où le trafic entre Europe et Asie reste important. Des liaisons sont assurées avec Abydos située en face, sur une pointe de la rive asiatique. Elle est également bien placée près de l'entrée du détroit sur un axe commercial majeur et vital pour l'Empire. Le détroit est en effet incontournable pour tout flux entre mer Egée et mer de Marmara, et de là vers Constantinople et la mer Noire.  Ce trafic commercial génère de très importants revenus à travers les taxes et droits de douane perçus sur les marchandises en transit. Les barèmes de taxation et d'application étaient clairement établis, comme l'ont montré des vestiges retrouvés dans la région, à l'image de la plaque de marbre ci-dessus retrouvée à Abydos et qui date du règne d'Anastase Ier (491-518) au début du VIe siècle. Les niveaux de taxation y sont détaillés et varient selon la nature des marchandises et la nationalité des commerçants.   
  
Ferry assurant la liaison entre Canakkale et Eceabat,
en août 2007 - (Wikimedia Commons - Alaexis )
Aujourd'hui, Madytos, devenue turque, se nomme Eceabat et compte 5 380 habitants, selon le recensement de 2012. C'est le chef lieu d'un district situé dans la province de Canakkale, la principale ville de l'ouest du détroit et située sur la rive asiatique. La cité a conservé sa vocation de point de passage : un ferry fait quotidiennement la liaison avec Canakkale qui se trouve un peu plus au sud. 
Vue d'Eceabat depuis la mer avec au centre la forteresse de Kilitbahir (XVe siècle)
(Wikimedia Commons - Alaexis)
Mustafa Kemal entouré d'officiers
sur le front des Dardanelles en 1915
(Wikimedia Commons)
La ville, avant de prendre son nom turc actuel, était désignée sous le nom de Maydos jusqu'au début du XXe siècle. Durant la bataille des Dardanelles, en 1915, c'est à Maydos que le colonel Mustafa Kemal établit son QG, mais on touche là davantage à l'univers du deuxième tome de la saga, revenons au premier tome...

Une fois arrivé dans la cité, Georges est déposé devant la basilique pour le synode tandis qu'Anthémios reste avec Rhômanos. Ce dernier doit déposer une barrique d'huile d'olive, chargée sur le chariot, dans un entrepôt appartenant au monastère dans cette ville. Le jeune postulant découvre au passage la cité et en particulier l'animation du marché aux poissons. Les eaux du détroit étant assez généreuses, on y trouve de nombreuses espèces et les bonites de Madytos sont plus particulièrement réputées. Après être passé à l'entrepôt, ils se rendent chez le négociant en vin. Celui-ci est occupé avec d'autres clients, des militaires. 

Pendant ce temps d'attente, Anthémios remarque dans la rue une fille magnifique qui lui fait beaucoup d'effet. Elle lui rappelle énormément Théodora qu'il a laissée à Melnik. Il constate également que malgré plusieurs mois passés au monastère, il était toujours autant attiré par les filles... il reste un adolescent dont les hormones sont en ébullition. En tout cas, la belle, de bonne condition visiblement, ne le laisse pas indifférent et le troublera longtemps. Rhômanos, ayant remarqué son intérêt pour la fille, ne manque pas de le charrier. Il lui apprend que cette beauté est la fille du gouverneur civil de la cité : le képhale. Ce qui lui confirme qu'elle est bien issue d'une famille de notables. Elle finit par disparaître au détour d'une rue, Anthémios la perd définitivement de vue. 

Les militaires quittent alors l'échoppe et Rhômanos part retrouver le négociant. Anthémios, encore dans ses douces rêveries se retrouve alors confronté à l'officier qui l'aborde de manière malsaine en le reluquant. Balafré, répugnant et aviné, l'officier lubrique voit Anthémios complètement mal à l'aise, provoquant l'hilarité de ses hommes. Le militaire lui parle de sa balafre en précisant qu'il la doit à un guerrier arabe. Anthémios est terrifié mais Rhômanos intervient alors, agacé, auprès du militaire pour qu'il le laisse tranquille. Le cellérier a suffisamment d'autorité pour faire céder le militaire. Au bout de quelques échanges et de prises de bec, l'officier finit par quitter les lieux avec ses hommes, non sans avoir été menaçant avant de partir.

Une fois l'affaire terminée avec le négociant, Rhômanos et Anthémios retournent à la basilique pour vérifier si le concile s'est achevé. Comme il n'en est rien, ils partent se restaurer dans une auberge. Anthémios est encore traumatisé et a besoin d'en discuter avec Rhômanos. Il veut savoir s'il connaît cet officier. Rhômanos lui répond qu'il dirige la garnison de la ville et qu'il s'agit d'un comte, ce qui n'est pas un titre aristocratique comme on pourrait le penser, vu de notre époque, mais d'un grade de l'armée byzantine. Un comte dirige une centaine d'hommes, voire un peu plus, ce qui le rend comparable à un centurion dans la légion romaine. Rhômanos lui explique surtout que c'est un être dangereux et vaniteux qui déteste les religieux. C'est aussi un ivrogne et un pervers qui aime les jeunes hommes. Rhômanos lui révèle enfin qu'il n'a pas été blessé par un guerrier arabe lors d'une victoire, mais par un cavalier bulgare durant la bataille de Virbitsa, l'une des pires défaites que l'Empire ait connu. 
Le Khan Kroum fêtant sa victoire sur Nicéphore,
miniature tirée de la Chronique de Constantin Manasses, XIVe siècle
(Wikimedia Commons - Protobulgarians.com)

Intervenue près de quatre ans avant notre histoire, le 26 juillet 811, cette bataille vit l'armée byzantine taillée en pièce par les troupes du Khan Kroum lors d'une embuscade. L'empereur Nicéphore y laissa la vie. On dit que Kroum fit de son crâne une coupe à boire plaquée d'argent. Anthémios comprend à travers ce mensonge toute la médiocrité et la vanité de l'officier. 

A la fin du repas, les deux hommes retrouvent Georges devant la basilique. Celui-ci est encore  plus décomposé qu'il ne l'était avant le concile... La mine des autres participants n'est pas plus joviale. Sur le chemin du retour, ils croisent à la sortie de la ville une nouvelle fois l'officier. Il adresse un rictus malveillant à Anthémios, mais les laisse partir sans faire de commentaires. Georges reste totalement silencieux. Au bout d'un long moment, Anthémios tente de lui poser des questions mais il le rembarre à tel point que le jeune homme se tait jusqu'au monastère.

Le soir, arrivé au monastère, Georges se rend au chevet d'Anastase pour lui rapporter ce qui s'est dit durant le concile. Il y restera tard dans la nuit. Anthémios ne sait pas encore de quoi il en retourne mais il a bien conscience que quelque chose d'important a été annoncé lors du concile. 

Le lendemain matin, Georges et Anastase sont présents lors de l'office de l'orthros. Si tout le monde est heureux de voir l'higoumène reprendre part à la vie communautaire, chacun remarque qu'il a l'air absent et préoccupé. Ce que Georges lui avait révélé semblait l'avoir profondément troublé. Anthémios ne le découvrira que dans le prochain chapitre... pour l'heure, il reste traumatisé par la rencontre qu'il a faite dans cette ville...

A bientôt.

Olivier.