mardi 12 janvier 2016

Un brouillard surnaturel et un bataillon qui disparaît mystérieusement à Suvla Bay ! 




Pour ce premier post de l'année 2016, le blog reprend son cours en abordant le neuvième chapitre du tome 2, où il est question d'événements et de phénomènes étranges sur la péninsule de Gallipoli en août 1915 : la disparition totale d'un bataillon sur le front et les mouvements pas très naturels de nuages peu communs... Des témoignages qui vont renforcer dans les esprits, et notamment dans celui du capitaine Saudal, l'idée que la presqu'île est maudite. De fait, le départ des alliés de la péninsule sera engagée dès l'automne et ce mouvement de retraite vers Salonique et la Serbie est aussi évoqué dans ce chapitre intitulé d'ailleurs "Evénements fantastiques et mouvements balkaniques"... 

Lors du chapitre et du post précédents, nous nous attardions sur l'évacuation de Pierre Lacourt vers Tunis suite à sa blessure lors de l'offensive du 12 juillet. Dans ce nouveau chapitre, c'est le capitaine Saudal que nous suivrons plus particulièrement. 

Ce dernier est en pleine forme malgré les conditions difficiles et les combats de juillet et d'août. Son expérience militaire au Maroc l'a endurci et bien que souffrant d'une légère dysenterie il supporte stoïquement la situation. Il constate en revanche qu'il est régulièrement victime de cauchemars depuis début juillet et se demande si la guerre n'est pas en train de le rendre lentement fou. Il se demande également si ce ne sont pas les lieux qui seraient hantés ? Si la péninsule elle-même ne serait pas maudite ? Il commençait à le croire d'autant qu'il avait eu vent de rumeurs, au mois d'août, circulant parmi les rangs britanniques et qui faisaient part de phénomènes extraordinaires...

Vue de Suvla Bay en 1915 (Wikimedia Commons - Bundesarchiv)

Saudal avait ainsi entendu dire qu'un bataillon britannique avait mystérieusement disparu dans le secteur de Suvla Bay lors d'une offensive menée le 12 août. Cette baie se trouve au nord de la péninsule et est bordée par une petite plaine côtière dominée par des collines occupées par les Turcs. C'est lors d'une attaque préparatoire que l'un des bataillons engagés s'est volatilisé : le First Fifth Norfolk, issu du Royal Norfolk Regiment. On l'avait aperçu réussir une percée dans un bois, mais en dehors des blessés revenus en arrière, plus personne n'a revu aucun d'eux... Aucun corps, aucun objet ni aucune arme leur appartenant n'a été retrouvé. Les Turcs ne semblaient pas les avoir tués, capturés ou exécutés. Ces 17 officiers et ces 250 hommes paraissaient avoir été littéralement  avalés par la forêt... Des années plus tard, dans les années 20, une enquête militaire et des recherches sur le terrain permettront de découvrir des squelettes et des restes de vêtements ou d'objets en lien avec ce bataillon qui avait tout simplement été anéanti au combat... Mais durant la guerre le sort de ce bataillon était resté totalement mystérieux.
Charge australienne sur une tranchée ottomane fin 1915
(Wikimedia Commons - US National Archives and Records Administration)

Quelques jours plus tard, le 21 août, c'est une autre histoire qui fit parler d'elle, toujours dans le secteur de Suvla Bay. Lors d'une attaque des ANZAC, sur la côte 60, une brume étrange vint s'installer sur la baie, la plaine et la vallée avoisinnante. Les observateurs, en particulier des soldats néo-zélandais d'une compagnie du génie, remarquèrent qu'elle était étrange de par son caractère très opaque et par sa capacité à réfléchir fortement la lumière du soleil. Elle était constituée de nuages en forme de miche de pain et se positionnait au ras du sol. Après de longues minutes, ces différents nuages s'élevèrent tout à coup lentement à la verticale puis s'éloignèrent un à un vers le nord, contre le sens du vent... Ce phénomène météorologique de brume n'était pas rare dans la région, mais pas en période estivale. Et surtout personne ne comprenait comment ces nuages avaient pu réussir à avancer dans le sens opposé à celui du vent...

On se demandait ainsi si les disparus du First Fifth Norfolk n'auraient pas été enlevés par une brume mystérieuse. La péninsule semblait maudite pour les alliés, d'autant que ce brouillard éblouissant avait fortement contrarié l'offensive en cours, l'amenant à un nouvel échec. 
Troupes françaises débarquant à Salonique fin 1915 (L'Illustration)

Saudal était convaincu qu'il était temps de quitter la presqu'île. Le commandement décidera d'ailleurs le mois suivant de commencer l'évacuation. La 2e DI du CEO, dont fait partie le 2e RMA où officie Saudal, partit pour Salonique via Moudros début octobre. Ce départ marque le début du retrait graduel des forces alliées qui s'échelonnera jusqu'à début janvier 1916. Un modèle du genre qui sera une véritable réussite s'appuyant sur des subterfuges brillants et des leurres astucieux. L'ironie est que cette discrète extraction aura été la seule opération parfaitement réussie par les alliés durant toute la campagne de Gallipoli. Une fois en place à Salonique et en Macédoine, la 2e DI du CEO prit le nom de 156e DI à partir du 15 octobre 1915.

C'est à partir de ce passage, dans ce chapitre, que nous retrouvons Saudal là où nous l'avions découvert au tout début du roman : à Guevgueli dans le campement des Zouaves du 2e RMA, dans la nuit du 16 au 17 octobre 1915. Le récit quitte définitivement les Dardanelles pour trouver un nouveau cadre en Macédoine, un nouvel environnement et de nouveaux ennemis : les Bulgares.

Dans la scène suivante, on retrouve Saudal au matin du 17 octobre. à Guevgueli, petite ville à la frontière serbo-grecque dans un paysage automnal triste. Le ciel est bas, la lumière grise et les eaux du Vardar, situé non loin de là, sont sombres. Cette ambiance est accentuée par les maisons en ruine, vestiges des guerres balkaniques de 1913. Saudal et ses hommes sont là pour assurer la protection de la gare et des ponts de la région afin de sécuriser la ligne de chemin de fer vers Uskub, ville que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de Skopje, capitale de l'actuelle Macédoine. Il guette l'ennemi bulgare, mais dans l'immédiat ce dernier reste invisible. 

Le 2e RMA ne connaîtra son premier accrochage avec les Bulgares que quelques jours plus tard, dans la nuit du 22 au 23 octobre. Dans une localité nommée Gradu, le 2e bataillon du régiment réussit à garder le pont de ce village malgré une brève mais vive attaque des Bulgares. Quant au 1er bataillon, celui où évolue Saudal, il attendra le 3 novembre avant d'essuyer ses premiers feux contre l'armée bulgare. Le bataillon avait donné l'assaut sur les pentes boisées situées au nord-ouest de Tatarli, un autre village de la région. La charge s'élança à 8h, après une courte préparation de l'artillerie. Les Zouaves parvinrent à atteindre les lignes bulgares malgré l'artillerie ennemie qui les prit en enfilade. Chargeant à la baïonnette, le 1er bataillon réussit à mettre en fuite les Bulgares vers le nord. Les Français les prirent en chasse jusqu'à Kajali, un village voisin, où il y eut un violent corps à corps qui se termina à l'avantage des Français. 

Le capitaine Saudal ressort indemne de ces premiers combats, tout comme des prochaines actions qui s'enchaîneront les jours suivants. Une offensive fut menée par la division dans la région de Stroumitsa, la principale ville du sud-est de la Macédoine serbe, elle poussera jusqu'à Kosturino. De manière plus globale, la campagne est un échec car l'écrasement serbe devient inexorable. Au nord, les Austro-allemands et les Bulgares avancent conjointement et usent la résistance désespérée des Serbes, tandis qu'au sud les Bulgares ont réussi à percer le flanc serbe et à prendre Uskub dès le 23 octobre, le tout en réussissant à contenir les actions franco-britanniques au sud-est.
Carte des opérations de la campagne de Serbie oct-déc 1915 (Wikimedia Commons - Boldair)
Retraite de l'armée serbe en octobre 1915 (Wikimedia Commons - Imperial War Museums)

L'encerclement des Serbes est proche et ces derniers tentent en vain de fuir vers le sud en brisant le flanc bulgare. A défaut, ils doivent se résoudre à la dernière solution qui s'offre à eux : virer à l'ouest et traverser l'Albanie afin de rejoindre Durazzo, l'actuelle Durrës, port sur l'Adriatique dans lequel est présente la marine italienne. Pour y parvenir, les restes de l'armée serbe vont devoir subir une terrible retraite dans les montagnes d'Albanie, en plein début d'hiver. Beaucoup d'entre eux mourront sur les routes. Le roi lui-même, Pierre Ier de Serbie, sera contraint d'effectuer le voyage piteusement dans un char à boeufs. Une fois arrivé à Durazzo, ces troupes survivantes seront embarquées à bord de navires italiens puis conduites à Corfou afin de venir grossir les troupes alliées en Grèce.

Du côté franco-britannique, on prit acte de la défaite serbe et un repli stratégique fut entrepris vers Salonique et sa région afin de s'y retrancher. Ce front macédonien rentre alors dans une nouvelle phase, celle d'une guerre de position qui succède à une campagne jusque là faite de mouvements incessants et d'attaques répétées. Saudal et son régiment rejoignent ainsi un campement de l'autre côté de la frontière grecque. Ils ne le savent pas encore, mais ils y resteront près de 3 ans...

A bientôt.

Olivier. 

  

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