mercredi 21 novembre 2018




Les rêves de Madeleine brisés par la tragédie du Provence II 




Quelques jours après que le Provence II ait été coulé par un sous-marin allemand, Madeleine, la fiancée de Pierre, apprend la nouvelle par la presse et comprend que son amoureux fait partie des nombreuses victimes... Ce nouveau post revient sur le chapitre où la jeune institutrice d'Alger découvre cette catastrophe et la mort de son bien-aimé, qui vont changer le cours de sa vie...

Ce dix-huitième chapitre, intitulé "l'annonce d'une triste nouvelle", intervient début mars 1916, quelques jours après l'attaque du Provence II que le lecteur a vécu dans le post précédent. Le père de Madeleine, abonné au journal Le Matin, découvre dans le numéro daté du 1er mars qu'un paquebot qui convoyait des troupes de Toulon vers Salonique avait été coulé en Méditerranée centrale le 26 février, faisant un nombre effroyable de victimes. Un bilan terrible digne du Titanic...


Une du Matin en date du 1er mars 1916,
titrant sur la catastrophe du Provence II (Gallica)

En lisant l'article, il découvre la composition des troupes qui se trouvaient à bord. Il a alors un doute affreux et fait venir auprès de lui sa fille qui se prépare à rejoindre l'école où elle travaille. Madeleine lui avait en effet indiqué que Pierre avait changé récemment de régiment mais il ne se souvient plus lequel, aussi lui demande-t-il de le lui repréciser. 

Lorsque Madeleine lui annonce qu'il s'agit du 3e régiment d'infanterie coloniale et que Pierre devait rallier Salonique depuis Toulon la semaine précédente, il comprend que ses craintes sont fondées.  En lui tendant le journal, il lui annonce gravement que son régiment est parti le 23 février à bord du Provence II et que ce bateau a été coulé le 26.

Madeleine, catastrophée, parcourt rapidement l'article et s'effondre en larme dans les bras de son père après avoir poussé un hurlement. Sa mère et Aïcha, la domestique, accourent immédiatement dans la salle à manger pour voir de quoi il en retourne. Elles découvrent la jeune femme en pleurs, blottie contre son père, avec le journal froissé à leurs pieds et comprennent qu'une nouvelle tragique vient de les frapper. 

Le paternel tente de calmer et de rassurer sa fille en lui rappelant que l'article stipule que de nombreux rescapés ont pu être récupérés et évacués vers Malte. Il lui redonne ainsi espoir et Madeleine parvient à envisager que Pierre fasse en effet partie des rescapés. Elle se dit alors qu'il a peut-être donné des signes de vie à Honorine, la tante chez qui il logeait quand il était étudiant à Alger. Elle décide alors de se renseigner auprès d'elle mais comme cette dernière n'a pas le téléphone, elle doit se rendre sur place pour le faire.


Tramway à Alger, près du Palais consulaire et de l'Amirauté,
sur une carte postale avant 1914 (Wikimedia Commons - Claude Villetaneuse)
Madeleine emprunte le premier tramway qu'elle peut pour se rendre dans le quartier où réside la tante Honorine. Une demi-heure après, elle se présente devant la maison. Au bout de deux sonneries, on lui ouvre enfin la porte. En voyant la mine décomposée de la parente de Pierre, Madeleine comprend qu'elle n'a rien de positif à lui annoncer. 

Pierre ne fait pas partie des rescapés qui ont été secourus. Il est porté disparu, son corps n'a pas été retrouvé. Les recherches de nouveaux rescapés ont pris fin, il n'y a maintenant plus guère d'espoirs de trouver de nouveaux survivants. Pierre n'a sans doute pas réussi à évacuer à temps le navire avant qu'il ne coule. Il sera bientôt considéré comme "mort pour la France" s'il n'est pas retrouvé vivant dans les prochains jours.   

Comprenant qu'il n'y a plus d'espoir à avoir, Madeleine s'effondre dans les bras d'Honorine. Déchirées de douleur, elles pleurent un long moment, l'une contre l'autre, trouvant ainsi un réconfort mutuel. 


La Grande Poste d'Alger, sur une photo prise en juin 2008
(Wikimedia Commons - Ludovic Courtès)
Au bout d'un moment, Madeleine réussit à trouver la force de lui demander si les parents de Pierre, à Toulouse, ont été mis au courant du drame. La tante Honorine lui répond alors qu'elle comptait les prévenir en leur envoyant un message en express. Pour cela, elle doit se rendre à l'hôtel des Postes, que l'on désigne aujourd'hui sous le nom de "Grande Poste", dans le centre-ville d'Alger. Les autorités militaires s'étant en effet diriger vers elle car c'est son adresse qui figurait dans le dossier militaire de Pierre, et non pas celle de ses parents.

Madeleine prend alors congé d'elle et se dirige vers le tramway pour rentrer chez ses parents. Sonnée par la nouvelle dramatique qui vient de s'abattre sur elle, elle avance comme un zombie. 

Ses parents, en la voyant revenir dans cet état, comprennent qu'elle n'a ramené aucune bonne nouvelle de chez la tante de Pierre. Ils tentent comme ils le peuvent de la consoler, sans réellement y parvenir.

Des années plus tard, après la guerre, Madeleine épouserait un autre homme, aurait plusieurs enfants avec lui, mais jamais elle n'oublierait Pierre. Celui qui resterait, au fond d'elle-même, le plus bel amour de sa vie et qui devait lui être destiné, avant que la guerre et le destin ne viennent en décider autrement...

A bientôt.

Olivier.

mardi 28 août 2018



Des instants cauchemardesques à bord du Provence II 




Pour ce post de rentrée, je vous emmène en Méditerranée à bord du Provence II. Pas pour une croisière, puisque ce paquebot de luxe a été reconverti en croiseur pour les besoins de la guerre. Nous y accompagnons Pierre Lacourt qui fait route pour Salonique avec son nouveau régiment depuis Toulon, en février 1916. Pierre va y vivre d'étranges hallucinations ou cauchemars, avant d'y connaître une fin tragique...

Au début de ce dix-septième chapitre, dont le titre est des plus menaçants "Lorsque s'ouvre l'une des portes des Enfers", on apprend que Madeleine reçoit une lettre de Pierre, à la mi-février 1916, plusieurs semaines après sa dernière permission à Alger pour les Fêtes. Il lui apprend qu'après plusieurs jours de manœuvres en janvier dans le désert tunisien, il allait changer une nouvelle fois de régiment. Lui écrivant de Bizerte, il lui explique qu'il va embarquer pour Toulon afin d'y rejoindre le 3e Régiment d'Infanterie Coloniale qui doit partir pour Salonique. Au passage, il est devenu caporal dans ce nouveau transfert. Madeleine est heureuse d'avoir enfin de ses nouvelles et constate qu'il va encore une fois partir en Orient plutôt qu'en France.

Pierre est encore à Toulon, au moment où Madeleine reçoit son courrier, mais son départ est imminent, puisqu'il finit par apprendre que celui-ci est prévu pour le 23 février. C'est à bord d'un navire de prestige que le voyage va s'effectuer, la Provence, un paquebot de luxe appartenant à la Compagnie Générale Transatlantique, notamment célèbre pour avoir battu avant guerre le record de vitesse pour la traversée de l'Atlantique entre Plymouth et New York. Rebaptisé Provence II suite à sa réquisition pour la guerre, il est devenu un croiseur auxiliaire solidement armé, assurant le transport de troupes en Méditerranée.
Troupes à bord du paquebot La Provence, photographie de presse tirée du journal Le Miroir, daté du 21 novembre 1915
(Wikimedia Commons - Le Miroir
Carte postale de 1906 représentant le transatlantique La Provence au Havre
(Wikimedia Commons)

Les trois premiers jours de mer se passent sans encombres et au matin du 26 février, le navire a dépassé Malte depuis longtemps et se rapproche du passage entre la Crète et le Péloponnèse qui marque l'entrée en mer Egée. Après le repas de midi, Pierre est sur le pont et il est plongé dans ses pensées. Il pense bien entendu à Madeleine et songe à cette terre de Grèce dont il se rapproche et qu'il rêve de fouler un jour en tant qu'archéologue et non pas en tant que soldat comme il s'apprête à le faire. Pierre sait notamment que le navire se situe alors au large du cap Matapan, l'extrémité sud du Péloponnèse. Ce cap, également connu sous le nom de cap Ténare, était considéré par les Grecs de l'Antiquité comme l'une des entrées des Enfers, notamment la grotte située à son extrémité. Pierre de par ses connaissances le sait et a alors un mauvais pressentiment. Il sent que quelque chose risque de se produire, d'autant que depuis quelques jours ses cauchemars récurrents se sont intensifiés. 

Tout à coup, en observant la mer, en contrebas, il croit apercevoir le long cou d'une créature marine. C'est une vision fugace qu'il a, une hallucination se dit-il et n'en parle à personne. Pour penser à autre chose, il engage la conversation avec des voisins et discute de leur affectation à Salonique et du Front d'Orient en général. Ensuite, redirigeant machinalement le regard vers les flots, il a une nouvelle hallucination, celle d'un immense visage féminin menaçant. Il en sursaute de peur et devant l'incompréhension de ses collègues, il décide d'aller se reposer à l'intérieur du bateau. Ces signes sont inquiétants mais ils sont peut-être le fait de la fatigue et une bonne sieste l'aidera à se détendre, imagine-t-il.

Pierre quitte donc le pont supérieur, traverse l'étage cossu réservé aux officiers et descend dans les niveaux inférieurs retrouver sa couchette située dans une cale. Il parvient à s'endormir assez vite et profondément, si bien qu'il ne tarde pas à faire un rêve.  
Ulysse et les Sirènes représentés sur un vase attique à figures rouges
daté de 480-470 av. JC, British Museum, Londres (Wikimedia Commons - Jastrow) 

Dans son songe, il se retrouve à bord d'une petite embarcation en pleine mer. Tout est calme, puis il entend soudain un chant mélodieux venu du fond de la mer. Une voix féminine qui se matérialise rapidement sous les traits d'une sensuelle et magnifique jeune femme dans l'eau limpide. Il se sent irrémédiablement attiré par elle et résiste pour ne pas la rejoindre. Il voit parfaitement la similitude qui existe entre ce qu'il vit et l'épisode de l'Odyssée qui voit Ulysse tenté par le chant des Sirènes. La belle joue de ses atouts et de son corps superbe pour le séduire et l'inciter à la rejoindre dans l'eau, ondulant et se dévêtant sensuellement. Pierre sent le piège mais entreprend de quitter la barque pour s'abandonner à elle, en tentant au préalable de nouer un dialogue avec elle. Il veut savoir qui elle est et quelle est sa nature ? Humaine, divine ou démoniaque ? 

Elle se contente de l'inviter ardemment à le rejoindre, pour toute réponse, et en lui faisant les promesses les plus aguicheuses alors qu'elle est déjà nue désormais. N'obtenant d'autres réponses, il finit par la rejoindre dans l'eau. Il la prend dans ses bras et la blottit contre lui. 

Alors qu'il s'apprête à l'embrasser, il est horrifié en découvrant qu'elle a complètement changé. Elle a désormais un aspect démoniaque, des yeux d'un noir profond, des dents et des griffes acérées. Il cherche à se débattre et à s'enfuir, y parvient un cours instant, mais la créature est d'une force prodigieuse et réussit à le retenir et à l'agripper, puis à le mordre affreusement à la jambe. La situation de Pierre est désespérée, il est perdu, d'autant que deux autres Néréides, toutes aussi terrifiantes, surgissent des profondeurs. Elles lui saisissent les bras et l'entraînent vers les fonds obscurs. L'asphyxie le gagne et il atteint désormais une profondeur qui le plonge dans un noir abyssal. Il se sait perdu et se réveille alors en sursaut et en criant.  
Le SS Californian photographié en 1912,
l'année où il fut rendu célèbre pour ne pas avoir porté secours au Titanic
(Wikimedia Commons)

Dans la cabine, ses camarades rouspètent ou le raillent. Il explique qu'il a fait un affreux cauchemar, sans donner de détails, tente de se rendormir en vain, puis décide de se lever et de sortir prendre l'air. Alors qu'il est en train de quitter la cabine, un bruit violent secoue le navire. C'est la stupéfaction autour de Pierre. Chacun se demande ce qui s'est passé. Certains imaginent une explosion ou une collision avec un autre bateau ou un récif, mais ces explications ne sont pas convaincantes. Ils décident de regarder à travers le hublot mais tout semble normal. On songe alors à une mine, mais le bateau est encore loin de toute côte, c'est donc peu probable. L'un d'eux pense ensuite à la torpille d'un sous-marin, tout le monde comprend alors qu'ils tiennent là la bonne piste. Dans le même secteur, en effet, un cargo américain reconverti en transport de troupes, le SS Californian, avait été coulé par un U-boat allemand quelques mois plus tôt, en novembre 1915.

Pierre et ses camarades quittent alors leur cabine pour gagner les étages supérieurs. Ils constatent très vite que les escaliers y menant sont engorgés, l'accès est bloqué et la panique commence à s'installer parmi les hommes. 
L'U35, l'U-boat responsable du naufrage du Provence II,
croisant ici en Méditerranée en 1915 (Wikimedia Commons)

En haut, la situation n'est pas plus brillante et la procédure d'évacuation tarde. Tout le monde avait été surpris par l'attaque, personne n'avait aperçu le sous-marin, ni même le sillage de la torpille. L'U-boat reste invisible et le Provence II demeure donc à la merci d'une éventuelle deuxième torpille. Les artilleurs à bord tentent de le repérer mais sans succès, tandis que l'équipage reste discipliné mais que les hommes de troupes ont tendance à céder à la panique. 

L'eau s'engouffre rapidement dans les cales et le navire commence à s'enfoncer par l'arrière sur tribord, là où la torpille a frappé. On fait stopper les machines, fermer les portes étanches - des hommes resteront d'ailleurs bloquer dans les cales, 150 périront noyés dans la n°3 - préparer les embarcations de sauvetage. Il y a trente huit canots de ce type à bord et tout le monde se rend compte très vite qu'il n'y en aura pas assez pour sauver l'intégralité des occupants du navire, d'autant que le naufrage ne laissera jamais le temps suffisant pour tous les mettre à l'eau.   

La panique gagne alors la totalité des soldats et les hommes d'équipage restent fidèles à leurs postes, mais chacun comprend que le navire est perdu. Le commandant Vesco, lui-même, le comprend et rejoint la passerelle où sont réunis les plus hauts officiers se trouvant à bord : notamment le colonel Thomassin, chef du 372e régiment d'infanterie ; le lieutenant-colonel Duhalde, dirigeant le 3e régiment d'infanterie coloniale, celui de Pierre ; le lieutenant d'état-major Bokanowski ; le capitaine de vaisseau Réveille ; le capitaine de frégate Biffaud ou le lieutenant de vaisseau Capin. Ce cercle d'officiers garde son sang froid et restera digne jusqu'au bout. 

L'arrière s'enfonce très nettement, l'eau envahit les chaufferies et finit par faire exploser les chaudières. Le navire se cabre alors et la proue se retrouve pointée vers le ciel, totalement à la verticale, avant de s'enfoncer de manière inexorable dans les flots. Le Provence II connaît alors un destin semblable à celui du Titanic, trois ans après la tragédie de ce dernier. Le navire coule ainsi dix-sept minutes après avoir été frappé par la torpille, un temps bien trop court pour mener à bien les opérations d'évacuation. Le bilan est effroyable avec plus de 1 100 victimes, officiers, marins ou soldats qui périssent ce jour-là. 

Parmi eux, Pierre Lacourt voit son destin le faire périr tout près des côtes grecques, non loin de cette porte des Enfers qui se referme ainsi violemment sur lui. Dans l'impossibilité de quitter le navire et de rejoindre une embarcation, Pierre est resté bloqué avec ses camarades dans les escaliers et emporté par le fonds avec les milliers de tonnes d'acier du navire.

Ses dernières pensées avant de mourir vont certainement à ses parents et à Madeleine. Jamais il ne ferait sa vie avec elle, jamais il ne deviendrait archéologue. Tous ses rêves disparaîtraient avec lui, corps et âme. 

Sans doute, comprend-il aussi toute la signification du cauchemar affreux et prémonitoire qu'il a fait peu de temps avant l'impact de la torpille. La malédiction d'Hécate avait fini par le rattraper et s'abattre sur lui. Il ne faisait pas exception et le sort ne l'avait pas épargné.     

Restait à Madeleine à apprendre la triste nouvelle, mais cela fera l'objet d'un prochain post lors du chapitre suivant.

A bientôt.

Olivier.     

vendredi 1 juin 2018



Salonique sous les bombes : vivez l'un des premiers raids aériens de l'Histoire au côté du commandant Saudal ! 




Lors du seizième chapitre, nous retrouvons Saudal en Grèce, en janvier 1916, qui va être le témoin d'un bombardement nocturne de Salonique par un dirigeable allemand. L'une des premières attaques aériennes de ce type dans l'histoire militaire mondiale. Ce post vous fera vivre, au côté de notre officier, cet épisode méconnu de la Grande Guerre. Désormais le danger pouvait venir aussi du ciel... L'événement marqua les Poilus d'Orient qui furent nombreux à le rapporter dans leur carnet de guerre, dont mon arrière grand-père, Ulysse Chauvet, que je fais intervenir à la fin de ce chapitre dont le titre a des accents X-filiens : "Une menace ovale venue du ciel" 

Ce nouveau chapitre permet de retrouver Saudal, après plusieurs chapitres consécutifs consacrés au parcours de Pierre Lacourt ou à celui de sa fiancée Madeleine. On recroise l'officier en janvier 1916, alors qu'il vient d'être promu commandant et qu'il a quitté les zouaves pour rejoindre un régiment d'infanterie plus traditionnel. Ce dernier occupe des positions au nord-ouest de Salonique, près des rives du Vardar. 

Le Vardar près d'Axiopouli, en amont de Gefyra (Topsin) - (Wikimedia Commons - Pyraechmes)

A la fin du mois, le bataillon dont Saudal a la responsabilité campe à Topsin, un hameau près du fleuve, à une grosse vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Salonique. De nos jours, il s'agit d'un bourg qui s'appelle Gefyra. Il y est posté depuis une semaine lorsque dans la journée du 31 janvier, le colonel du régiment demande à Saudal de l'accompagner à Zeitenlick, le QG allié situé dans la périphérie de Salonique. Il doit y présenter un rapport à l'état-major et souhaite que Saudal se joigne à lui afin de mieux le connaître. Ce déplacement était une bonne occasion de partager du temps avec lui, l'arrivée de Saudal dans le régiment étant encore toute récente.

Ils arrivent au camp de Zeitenlick en fin de matinée et y restent une bonne partie de la journée. Enfin d'après-midi, plutôt que de rentrer directement à Topsin, ils décident de passer la soirée à Salonique de manière à profiter un peu de l'animation de la cité. Ils dînent ainsi dans une taverne en compagnie d'autres officiers français ou britanniques.

Les deux hommes n'en partent qu'après une heure et demi du matin et parcourent à pieds les ruelles de la vieille cité plongées dans l'obscurité de cette nuit sans lune et recouverte en partie par des nuages. Ils marchent en direction des murs ouest de la ville, afin d'y retrouver leur chauffeur qui les y attend. 

Chemin faisant, ils entendent un bruit étrange, comme un léger bourdonnement, aussitôt suivi, au loin, d'explosions. Levant la tête au ciel, ils discernent alors en altitude une forme ovale, allongée et sombre qui survole la ville. Ils comprennent rapidement qu'il s'agit d'une nouvelle attaque de zeppelin allemand, Salonique ayant déjà subi un premier raid quelques semaines auparavant. Cette première attaque, survenue le 7 janvier, avait été anecdotique, mais celle qui se déroule sous leurs yeux semble beaucoup plus sérieuse.
Photographie du Zeppelin L19 / LZ54, un modèle assez proche du LZ85 / LZ55 
qui bombarda Salonique cette nuit-là (Wikimedia Commons - Zeppelin & Garrisson Museum)

En dirigeant leur regard vers la zone portuaire, les deux officiers aperçoivent des lueurs qui leur font comprendre que des navires ou des entrepôts ont été bombardés et que des incendies se sont déclarés. Les explosions sont nombreuses, une dizaine se sont faites entendre.

Ils décident de se rapprocher du secteur pour aller voir de plus près ce qu'il en est. Ils s'aperçoivent que le dirigeable, qui était arrivé par le sud, du côté de la mer, prend la direction du nord-ouest. Ils comprennent alors qu'il se dirige vers le camp de Zeitenlick afin d'aller l'attaquer à son tour. 
Photos extraites de l'article paru dans "Le Miroir" du 20 février 1916 traitant de cet évènement (forum.pages14-18.com)

Une fois parvenus dans le secteur de la ville le plus touché, les deux officiers découvrent l'agitation qui y règne. De nombreux habitants étaient aux fenêtres, en train d'observer ce qui se passait, inquiets. Certains courraient se mettre à l'abri tandis que d'autres étaient occupés à intervenir sur les incendies qui s'étaient déclarés en différents endroits. En dehors des cibles militaires, beaucoup d'édifices ou bâtiments civils avaient été touchés. 
Artilleurs français autour d'un canon antiaérien de 75,
à Salonique en 1917 - (Wikimedia Commons - Rcbutcher)

Les alliés ont tenté de riposter mais le zeppelin volant à près de 3 000 mètres s'était avéré hors de portée, quant à l'aviation, inopérante de nuit, elle n'avait été d'aucune utilité. Le dirigeable a donc pu poursuivre son raid sans dommage et quitter la zone des opérations sans être inquiété. Ce même zeppelin sera abattu quelques mois plus tard, lors d'un nouveau raid à Salonique, le 5 mai, et terminera sa course en flammes dans le delta du Vardar.

Avant de quitter Salonique, Saudal et son supérieur se rendent du côté de la sous-préfecture qui a été très touchée. Ils y apprennent un peu plus tard que des entrepôts de vivres ont été frappés, ainsi qu'un bâtiment de la Banque de Salonique et de nombreux biens civils privés. Au moment du bilan, on dénombrera une quarantaine de victimes parmi les décombres.

Le lendemain matin, à Topsin, le colonel du régiment informe ses hommes de cette attaque dont il a été témoin. Celle-ci marque les esprits et est relayée dans un grand nombre de carnets de guerre. Parmi les Poilus d'Orient qui annotèrent cette anecdote, figure mon arrière grand-père maternel, Ulysse Chauvet.

Je rend hommage à ce dernier en le faisant intervenir dans la scène qui clôture ce chapitre. Celle-ci se passe le 7 février, alors que mon aïeul est de garde ce jour-là, comme il le confie dans son carnet. Il est occupé à faire le planton, dans le froid, devant un baraquement d'officier. Je m'arrange évidemment dans ma fiction pour que ce soit devant le poste qui est occupé par le commandant Saudal... Celui-ci effectue une pause, à l'extérieur du baraquement, afin de prendre l'air et de fumer une cigarette. Il entreprend alors de discuter avec le garde. Saudal lui demande si tout va bien et s'intéresse vaguement à lui afin d'engager une conversation de manière à meubler un peu son temps de pause.

Remarquant son accent du Midi, il demande à mon aïeul s'il est provençal, lequel lui répond qu'il est effectivement originaire de la Drôme Provençale. Puis Saudal relève qu'il s'appelle Ulysse et qu'ils sont en Grèce, alors pour le charrier un peu, il lui demande si son épouse ne s'appelle pas Pénélope et son fils Télémaque... Il lui répond que sa femme se nomme Marie et que son fils, mon propre grand-père, s'appelle Urbain. Ce dernier est alors âgé de 3 ans à peine... Saudal lui promet alors, bien qu'il n'ait pas de certitudes sur la fin de la guerre, qu'il retrouverait bientôt sa famille et sa région. 

Ce post se termine sur cette scène qui m'aura permis de faire revivre cet aïeul que je n'ai jamais connu (il est décédé en 1940), mais qui fait partie de mon enfance, comme une figure marquante de l'histoire de la famille. Enfant, je voyais en lui quelque chose de mythique, cet aïeul qui s'appelait Ulysse et qui avait combattu en Grèce, c'était de l'ordre de la mythologie... 

C'est à mon grand-père, Urbain, que je dois en grande partie mon goût pour l'Histoire et il m'avait notamment parlé de son père. En faisant intervenir mon arrière grand-père dans ce passage - le seul moment où je fais entrer mon histoire familiale dans la saga - c'est donc aussi un clin d’œil à mon grand-père que je fais, je lui dois beaucoup. Lui-même nous ayant quitté il y a vingt-cinq ans déjà.

Bon été et à bientôt.

Olivier.       

samedi 3 mars 2018




La malédiction d'Anthémios se révèle à Pierre Lacourt ! 




Le blog reprend le fil du deuxième tome, en ce début d'année, en abordant le quinzième chapitre. "Fil" est bien le mot qui convient puisque ce chapitre est entièrement constitué d'une conversation téléphonique. Pas n'importe laquelle puisque c'est à travers celle-ci que Pierre va avoir confirmation, par l'intermédiaire du Père Delattre, que sa plaquette de plomb contient bien une malédiction et qu'il se retrouve visé par celle-ci... Au gré de ce post, vous découvrirez la teneur de cette malédiction qui se révèle à Pierre durant ce long échange téléphonique.  

Intitulé justement "Révélations au bout du fil", ce quinzième chapitre se situe début janvier 1916, alors que Pierre vient de réintégrer le 4e Régiment de Zouaves, à la caserne Saussier de Tunis, après sa permission à Alger durant les fêtes de fin d'année. Il est occupé à préparer son paquetage en vue de manœuvres imminentes dans le Sud tunisien, lorsqu'il est appelé un matin par un sous-officier. Celui-ci lui apprend qu'un religieux qui se présente comme un père blanc cherche à le joindre au téléphone de la caserne et cela de manière insistante. Pierre comprend bien sûr qu'il s'agit là du Père Delattre. 
Entrée de la caserne Saussier, carte postale du début du XXe siècle
(Mohamed Hamdane - Delcampe.net)

Pierre se rend dans un bureau de la caserne où un lieutenant lui tend le combiné. Au début de la conversation, les deux hommes se présentent mutuellement leurs meilleurs vœux pour la nouvelle année qui démarre tout juste, puis ils en viennent très vite au but de leur conversation. 

Le Père Delattre confirme à Pierre que son équipe a réussi déchiffrer en grande partie la tablette de plomb. Le jeune homme lui indique qu'il a peu de temps devant lui puisqu'il doit partir le jour-même en manœuvre dans le désert. Le religieux lui assure qu'il sera bref et lui annonce d'emblée que la plaquette contient bien une malédiction, malgré les difficultés à lire certains passages du fait de l'oxydation.
Hécate représentée sur une illustration de Stéphane Mallarmé,
tirée d'une édition des Dieux Antiques : nouvelle mythologie illustrée (Paris - 1880) 

(Wikimedia Commons)

Il lui précise que le texte débute par une introduction dans laquelle est invoquée respectueusement la divinité à qui est demandée l'intercession. Ce qui est classique dans ce genre de texte. Pierre y apprend que la divinité en question est Hécate, et il sait que celle-ci régit la sorcellerie, les cauchemars ou l'apparition de spectres. 

L'énoncé se poursuit ensuite en présentant celui qui fait cette invocation et qui est donc l'instigateur de cette malédiction. On y apprend que celui-ci se nomme Anthémios, comme l'un des architectes de la basilique Sainte-Sophie de Constantinople, et que ses parents s'appellent Justinien et Eudoxie, mais on ne parvient pas à lire d'où viennent ces personnes et rien n'indique leur qualité. La phase introductive s'arrête là et le texte passe ensuite à la formulation de la malédiction en elle-même.

Il y est indiqué que toute personne qui pénétrera dans ce tombeau sera maudit. Pierre comprend qu'il s'agit du caveau dans lequel il a trouvé cette plaque et les icônes, et il change tout à coup d'attitude. Plutôt à l'aise jusque là et enjoué, il devient livide et silencieux lorsqu'il comprend qu'il est effectivement visé par cette malédiction. Le texte confirme ce qu'il craignait et pressentait. Tous ceux qui ont pénétré dans ce caveau sont morts depuis, à part lui. Il ne voit pas pourquoi il y échapperait, lui.

Il demande alors à en savoir plus sur la suite de la malédiction. Le Père Delattre lui répond que dans ce caveau reposent des moines qui ont été massacrés, ainsi qu'un certain Georges qu'Anthémios présente comme son maître. Pour le prêtre-archéologue qu'est le Père Delattre, c'est le passage le plus intéressant de la tablette, car, fait-il remarquer à Pierre, le terme de "moines" fait forcément référence à l'ère chrétienne alors que l'usage d'une plaquette pour la sorcellerie renvoie à l'Antiquité. Pierre ne voit pas les choses de la même manière et repense à ce qu'il a vécu aux Dardanelles lorsque Benhamou disait avoir vu des revenants dans le no man's land et que ceux-ci avaient l'air de moines...  

Pierre comprend mieux de quoi il en retournait et est de plus en plus inquiet. Il se confie auprès du Père Delattre sur cette vision que prétendait avoir eu Benhamou. Delattre s'en amuse mais comprend que Pierre la prend, lui, très au sérieux. Le jeune homme lui demande alors encore davantage de détails sur la malédiction.

Le père blanc lui apprend que la malédiction vise tous ceux qui profaneront cette tombe et tous ceux qui y déroberont le moindre objet qu'elle contient, ou qui se les approprieront, en feront commerce ou leur porteront atteinte. Anthémios y demande que la colère d'Hécate s'abatte sur eux et cela par delà les siècles, les mers et les monts. Pierre comprend alors qu'il est doublement visé par cette malédiction. Il l'est en tant que profanateur de la tombe et il l'est aussi en tant que pilleur d'objets, aussi bien intentionné soit-il.    
Figure noire attique représentant Hécate
accompagnée d'un grand chien et tenant un arc et une double torche enflammée
(Wikimedia Commons - Université de Tûbingen)

Pierre devient absent de la conversation alors que Delattre, qui a fini d'expliquer le contenu de la plaquette, commence à se poser des questions sur l'histoire que révélait le déchiffrage de cette tablette. Il se demande notamment dans quelle circonstance avait eu lieu le massacre des moines évoqué par cet Anthémios. Pierre émet quelques hypothèses sans conviction, plus par politesse vis-à-vis du religieux plutôt que par intérêt. Lui n'est pas un simple observateur dans cette malédiction, contrairement à Delattre. Pierre évoque aussi évasivement des envahisseurs ou des brigands, mais Delattre songe de son côté à des querelles religieuses ou à une répression d'adversaires partisans d'une doctrine religieuse différente, le contexte byzantin de l'époque pouvant se prêter à ce scénario.

Delattre fait par ailleurs remarquer à Pierre qu'il est doublement surpris par Anthémios.  Car si ce dernier semble être un élève ou un novice dans un monastère, il est d'une part étonnant qu'il se soit adonné à la sorcellerie et qu'il fasse d'autre part autant d'erreurs dans ses écrits. Delattre a en effet constaté de nombreuses fautes dans le texte de la malédiction. Il en conclut que la plaque a été gravée par un tiers peu lettré, sans doute un sorcier, ou une magicienne, issu d'une couche populaire. 

Le Père Delattre conclut alors la conversation et laisse Pierre finir ses préparatifs pour son départ en manœuvre dans le désert. Il lui souhaite enfin bonne chance. Pierre le remercie pour son aide et le temps qu'il lui a consacré. Il raccroche alors le téléphone sous les yeux interloqués de l'officier à qui la conversation traitant de revenants n'a pas échappé. 
Cour de la caserne Saussier, photographie du début du XXe siècle
(Mohamed Hamdane - Delcampe.net)

Pierre prend ensuite la direction du dortoir afin d'y boucler son barda et repense, alors qu'il traverse la cour de la caserne, à sa conversation avec Delattre. Bien sûr, il est inquiet, mais il a l'espoir d'échapper à cette malédiction car pour le moment il a été épargné alors que cela fait déjà six mois qu'il a profané cette tombe et emporté les icônes. Il a survécu bien plus longtemps que tous les autres découvreurs de ce caveau.

Il évolue donc dans l'inconnu quant à son propre sort, mais il n'en apprécie que plus la valeur de la vie et de tout ce qui la compose, ses envies, ses passions et surtout son amour pour Madeleine.

A bientôt.

Olivier.